"DEMOCRATIE AU BENIN - BILAN ET PERSPECTIVE"
Nous nous excusons auprès de nos lecteurs de leur présenter seulement maintenant cet ouvrage qui est sorti depuis 1999. Il se penche sur le cas de la démocratie au Bénin que des esprits bien pensants tentent de présenter comme un modèle pour toute l'Afrique noire francophone. Vous l'aurez deviner : Présenter le Bénin comme un modèle de Démocratie est simplement une vaste escroquerie politique.
PRESENTATION DE L'AUTEUR
Né en 1948 à Houèglé au Bénin, Philippe NOUDJENOUME est professeur de droit public à la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Politiques de l'Université Nationale du Bénin à Cotonou.
Ancien Chef du Département de Droit Public, Ancien Vice-Doyen de cette faculté, il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages dont notamment
- ''Les Accords de Coopération entre le Bénin et l'Allemagne'' publié 1995 avec l'appui financier de la fondation allemande Hanns Seidel et de l'ENA du Bénin ;
- ''Les Traités et Accords de Coopération entre le Bénin et la France ( 1851-1993) ", publié aux Editions du Journal Officiel avec l'appui financier de la MICAC-Ambassade de France au Bénin, ISBN : 9991940006.
Membre de divers instituts et comités de rédaction de Revues tant en Europe qu'en Afrique, il dirige à Cotonou le ''Laboratoire de Droit et Démocratie'' qui publie chaque année une Revue scientifique ''Les Feuilles Juridiques''(Law Papers) ISSN 1028-5318.
PRESENTATION DE L'OUVRAGE PAR L'AUTEUR
Le continent africain dans son ensemble a été secoué à partir de 1988 par de grands mouvements sociaux et politiques. On pourrait dénombrer par ordre chronologique les soulèvements populaires d'Algérie en 1988 suivis de ceux du Bénin en 1989. Le reste a suivi comme par contamination embrasant l'ensemble du continent. Ces agitations sociales qu'on a appelées ''le réveil de la société civile'' ont conduit les unes à des changements de régimes , les autres à de simples réaménagements la tête de l'Etat ; les autres encore à des reprises en mains spectaculaires de la situation par des régimes autoritaires fortement ébranlés pouvant se traduire en une sorte de restauration brutale autocratique.
L'ensemble de ces mutations ou convulsions socio-politiques qui continuent d'agiter le continent africain et qui ne sont pas encore estompées - parce que n'ayant pas encore épuisé leurs ressources, l'ensemble de ces mutations donc est traduit par l'expression ''Renouveau Démocratique'' ou ''Processus de démocratisation en Afrique'' . La concomitance de ces événements avec les bouleversements en Europe de l'Est a amené des politologues, sociologues, historiens et juristes etc., à conclure que ces changements intervenus en Afrique sont déterminés par des actions extérieures au continent. On a parlé de ''vent d'Est'' qui aurait balayé l'Afrique, de la ''Pérestroïka'' de Gorbatchev qui aurait eu des influences décisives ; on a parlé aussi du ''Discours de la Baule'' .
Sans sous-estimer l'impact des facteurs exogènes sur les peuples africains dans leur quête vers la démocratie, il faut cependant en situer la juste portée . Certes , aujourd'hui plus qu'hier sur ce ''village planétaire'' , aucun pays ne peut vivre en vase clos ; les relations internationales surtout économiques de plus en plus serrées entre Etats et les rapports juridiques qu'elles déterminent ne manquent pas d'influer dans un sens ou dans un autre sur l'évolution interne de chaque pays. Mais ce qui est déterminant, c'est l'évolution endogène, la maturation des facteurs internes propres à chaque pays ou groupe de pays, à chaque peuple, à chaque société. La ''Pérestroïka'' africaine, s'il faut s'exprimer ainsi est ou sera le produit, la résultante de modifications intervenues au sein des facteurs socio-économiques, culturels et intellectuels des pays africains dans leur diversité, comme dans leur unité. Cette évolution apparaît donc comme nécessaire et c'est cette nécessité même au plan historique qui en situe la portée et les limites.
Après trente années d'existence, les régimes politiques issus des indépendances octroyées des années 60 ainsi que les institutions juridiques qu'ils ont sécrétées ont été vite dépassées et débordées par l'évolution ci-dessus mentionnée. L'immobilisme des structures étatiques placées au-dessus ''d'une société civile '' soumise à des mutations de plus en plus rapides a mis au grand jour l'archaïsme de celles-là et leur caractère inadapté. L'Etat post-colonial est en crise . Un autre Etat est appelé par le cours même des choses.
L'étude que voici porte sur la période allant de 1988 à 1993. Le choix de ce segment de temps n'est pas arbitraire. L'année 1988 correspond à la phase de pourrissement du régime du PRPB caractérisé par les scandales de toutes sortes ; l'année 1993 correspondant à la phase de stabilisation du nouveau régime issu de la Conférence Nationale marquée par l'installation des différentes institutions constitutionnelles. Ce travail se veut une étude de cas, celui du Bénin dans les limites temporelles des cinq années ci-dessus retenues. Son ambition ne s'étend pas à embrasser la problématique démocratique au plan africain ; ce qui présenterait l'inconvénient de noyer le travail dans la généralité sans ancrage matériel concret.
En effet une expérience originale est en cours au Bénin ; non pas parce qu'on y a tenu une assise historique appelée ''conférence nationale'' qui a servi de ''modèle'' pour le reste des Etats africains francophones, mais parce que la profondeur et les caractéristiques du mouvement social et politique dont la conférence nationale n'est qu'un avatar, posent la question de la démocratie sous un angle nouveau en Afrique.
Beaucoup de choses ont été écrites sur cette expérience béninoise qui a servi jusque-là de référentiel. La plus grande partie de cette production exprime davantage les vues et les objectifs propres à leurs auteurs que la réalité même telle qu'elle a existé et existe au Bénin. La plupart des écrits ont eu comme dénominateur commun une canonisation du modèle béninois de démocratisation, béatification dont les Béninois sont les premiers surpris. Avec le recul du temps il apparaît que ce tintamarre fait autour du modèle béninois n'est point innocent ; qu'il est révélateur du fait que ce modèle n'a été que le produit de ce qu'on peut appeler la contre-révolution mondiale.
Le récent ouvrage du sociologue béninois Francis AKINDES intitulé ''Les mirages de la démocratie en Afrique subsaharienne francophone'' qui est la systématisation d'un article publié antérieurement va dans le sens de ce que nous affirmons.
" La stratégie de la Conférence Nationale, écrit Monsieur AKINDES, avait été déployée par la France au Bénin pour ''contrer l'opposition incisive du PCB (Parti Communiste du Dahomey devenu Parti Communiste du Bénin depuis 1992). Favorisé à grand renfort médiatique, le retour sur scène de la veille garde politique, qui n'est rien d'autre que d'anciens ''amis politiques'' plus ou moins fidèles à l'Elysée - donc plus malléables - était alors le seul moyen de faire obstacle au projet du PCB, lequel tentait de mettre à profit la crise économique et politique que traversait le pays''. (AKINDES 1996 : 53). Plus loin l'auteur écrit : ''Aux yeux de la diplomatie française, le Bénin constitue un véritable laboratoire où ont été tentées les nouvelles expériences de redynamisation de sa zone d'influence africaine qui par sa faillite, lui renvoie une représentation appauvrie de sa propre puissance''. Faisant une sommation des expériences de démocratisation sur le continent africain, Monsieur AKINDES conclut :''L'histoire du processus de démocratisation ... en cours en Afrique subsaharienne est d'abord et avant tout une histoire de rapports de forces : une bataille rangée entre pays dominés .... et pays dominants ; et ce par institutions financières interposées''. (AKINDES 1996 : 27).
Monsieur AKINDES s'inscrit ainsi dans l'approche des choses telle qu'elle a été toujours développée par l'abondante littérature du Parti Communiste du Bénin.
Mais au-delà du mythe que constitue ce rituel appelé Conférence Nationale, il y a tout le mouvement social conduit par le PCB qui a amené la France à exercer le ''devoir d'ingérence''. Et c'est la présentation de cette effervescence qui constitue l'essence de ce travail. L'accession du pays à l'indépendance octroyée en 1960 a vu la montée au pouvoir d'une fraction de la couche intellectuelle formée sous la colonisation et occupant désormais la position de classe privilégiée, de classe dirigeante, de la bureaucratie et de l'Etat après le départ du colonisateur. Les luttes pour la conquête ou la conservation du pouvoir se déroulaient au sein de cette bourgeoisie bureaucratique. Les fréquents changements d'équipes gouvernementales avec la fréquence des coups d'Etat dans la période et qu'on caractérisait d'instabilité politique ne modifiaient en rien la permanence de la domination néo-coloniale.
Le coup d'Etat du 26 octobre 1972 a consisté à la mise à l'écart de la vieille garde bureautique et rentière de l'Etat et l'avènement au pouvoir de la couche de la petite bourgeoisie réformiste, formée pour la plupart de responsables émanant des organisations représentatives des couches populaires ayant fait leurs armes à l'écoute des pays socialistes. La lutte entre la vieille garde et la nouvelle couche dirigeante a duré pendant à peu près deux ans ; celle entre la nouvelle couche bureaucratique et les secteurs populaires attachés à des conquêtes démocratiques aura duré trois ans et sera résolue en faveur de l'équipe au pouvoir .
Le pouvoir est désormais institutionnalisé à travers une Constitution, ''La loi Fondamentale'' du 26 août 1977.
La pratique du Parti-Etat est ainsi institutionnalisé. La conséquence de tout cela était que l'économie nationale plongeait dans les abîmes créant une situation d'extrême misère et de désolation pour la population tant dans les villes que des campagnes. Ce sont ces conditions objectives qui ont constitué le vivier nourricier, le détonateur des explosions sociales les plus impétueuses qu'ait connues jusque-là le Bénin durant son histoire ; elles se sont déroulées pendant toute l 'année (1989) et ont fini par renverser dix-sept ans de ''despotisme obscur'' ouvrant ainsi une ère de démocratie la plus large qui ait jamais existé dans le pays. Nous avons assisté à la ''délégitimation'' du régime ancien et à son remplacement par un autre avec l'affirmation de principes démocratiques et l'émergence d'instructions constitutionnelles nouvelles. Ce processus de ''rebellion'' contre l'ordre patrimonial que Monsieur J.F. Bayart traduit par ''la revanche de la Société Civile'' contre ''l'Etat bien police'' (politceystaat) au Bénin nous conduit à maints questionnements de portée profondément théorique : quels sont les mécanismes internes (les forces sociales) ayant conduit à la mutation politique au Bénin ? Quelle elle la portée de cette mutation ? Quelles en sont les forces et les limites ? Voilà autant d'interrogations auxquelles l'ouvrage a tenté d'apporter des réponses à travers les deux parties suivantes :
- Première Partie : La crise du système monocratique.
- Deuxième Partie : Le processus démocratique institutionnalisé.
Le retour au pouvoir de l'ancien dictateur déchu, Mathieu Kérékou a permis à l'auteur, dans un épilogue, d'effectuer une incursion dans la vie politique béninoise de la période de 1993 à 1996 et de souligner plus que jamais la fragilité du ''modèle '' béninois de démocratie ainsi que le rôle encore déterminant de l'ancienne puissance coloniale dans la politique béninoise.
''LA DEMOCRATIE AU BENIN
Bilan et Perspective''
Auteur : Philippe NOUDJENOUME
Edition : L'Harmattan, Paris
ISSN : 2-7384-7768-2
Année 1999.
395 p.