MALEHOSSOU Bouraïma

Profession : Etudiant ;

Dates d'arrestation : 19 mars 1979 ; 06 mars 1984 ; 24 décembre 1987.

Dates de libération : 03 mars 1984 ; 23 juin 1984 ; 03 septembre 1989.

Quelques jours avant notre arrestation le 24 décembre 1987 à Cotonou sur indication du mouchard de la gendarmerie TOHOU Zacharie, KESSO Sébastien ne s'est pas abstenu de molester le beau-père de Rémi, Monsieur Toussaint LOKO dit ROKA, il l'a tapé jusqu'à lui casser le bras et jusqu'à ce qu'il perde connaissance. Les preuves de cette barbarie existent et nécessitent des réparations surtout que KESSO et son chef savaient déjà là où on résidait.

Le 24 décembre 1987 sur indication de TOHOU Zacharie, une horde de flics armés jusqu'aux dents conduite par GOUCHOLA Irénée est descendue là où nous résidions et a arrêté Rémi, sa femme qui portait une grossesse de 5 mois, sa mère, ma femme, mon enfant de 9 mois réveillé de son sommeil avec fracas et moi-même. Je devais être menotté dans le dos ainsi que Rémi et les gendarmes ne se sont pas abstenus de nous torturer séance tenante pour nous humilier devant l'assistance en nous taxant de bandits, de délinquants. Il faut préciser que cette descente s'est faite à une heure de matin, donc en violation des réglementations juridiques en cours dans le pays.

La femme de Rémi a été menottée ensemble avec sa belle-mère et dans une telle position que les flics les obligeaient à marcher l'une derrière l'autre. Imaginez s'il vous plaît la difficulté. Ma femme quand bien même elle avait un bébé sur le dos avait les deux mains menottées. Il a fallu que je proteste sérieusement pour qu'on lui ôte les menottes pour qu'elle allaite le petit Kémal. Nous sommes passés dans la maison d'une tante à Rémi où ils embarquèrent un fils de la tante, Monsieur GNANCADJA Zacharie, Instituteur dans une école de base à Agla.

GOUCHOLA vient brusquement vers Rémi et moi nous dire que nos protestations sont vaines car nous n'étions pas d'accord avec le fait qu'on nous ait menottés et il ajoute en se retournant : "C'est fini pour vous, dites Adieu au PCD, car vous ne reviendrez plus jamais dans ses rangs". Ce jour j'avais pris cela pour de vaines menaces, mais plus tard tout se comprendra. Il y avait préméditation.

On m'enferma avec Rémi et Zacharie dans le coffre d'une 504. On n'avait même pas de place pour s'asseoir, mais nous avons été comprimés dedans de force.

A la brigade territoriale de Cotonou, ils changèrent de coffre à Zacharie et nous nous retrouvions à deux dans le coffre.

C'est dans de telles conditions que le voyage a été engagé sur Abomey. On y arrivera à 5 heures 20 minutes du matin tout essoufflés et courbaturés. Ils intimèrent l'ordre aux agents de ne pas nous laisser uriner, et lorsque la mère de Rémi eut envie d'uriner on lui demanda d'uriner dans ses habits. La mère a été obligée de s'abstenir par amour propre.

Les capitaines GOUCHOLA et KESSO vinrent vers 6 heures du matin demander à ce qu'on emporte Rémi et moi au commissariat central d'Abomey avec consigne qu'on doit être sans entre nous et avec nos parents. Cette précision est presque inutile car la plupart de nos parents étaient gardés à la brigade de gendarmerie de Bohicon.

Le 29 décembre 1987, on vint me chercher du commissariat pour la brigade territoriale d'Abomey en remplacement de Zacharie GNANCADJA car les mesures de sécurité prises pour nous empêcher d'être en contact sont tombées immédiatement car la sympathie entre certains détenus et policiers ne tarda pas à se manifester quand bien même les zélés ne manquent guère. J'ai oublié jusque là de dire que depuis le 24 décembre 1987 j'ai toujours été gardé menotté de jour comme de nuit, ainsi que Zacharie et Rémi.

Le 16 janvier 1988, j'étais fatigué de mes conditions de détention et j'ai forcé les menottes que j'ai sautées. Les flics des lieux m'ont tabassé et ceci sous la direction du Maréchal de Logis CHABI (dont j'ignore le prénom mais que je peux reconnaître parmi mille autres : il est élancé et avait un début de calvitie). Le même jour I. GOUCHOLA est passé et a dit que le lundi 18 janvier 1988 il me ferait venir à la compagnie pour me prouver si je suis gardé dans de mauvaises conditions. Je lui ai réaffirmé que je ne pouvais accepter de telles conditions de détention, ce qui le mit dans une colère extrême et il partit en trombe.

Le lundi on ne vint plus me chercher, mais c'était mon ami Rémi qui était la cible privilégiée.

Le mardi à une heurte du matin, on me réveilla de ma cellule, les gens de la brigade m'enlevèrent leurs menottes et elles furent remplacées par celles de la compagnie et on me fit ramasser mes effets utiles. Je me retrouvai à nouveau dans le coffre dans lequel j'étais pour arriver de Cotonou, cette fois chaque main menottée au pied opposé. Ils ont pris la route de Cotonou mais arrivés au commissariat central, ils se sont arrêtés et sont partis chercher les autres selon moi. Ma surprise fut grande quand ils revinrent avec Zacharie et qu'on leur confia certains effets de Rémi. Mon compagnon de coffre cette fois-ci, c'est Zacharie.

J'ai imaginé ce qui s'est passé pour que Rémi ne soit pas du voyage, mais j'ai pensé à tout sauf à sa mort. J'ai posé la question à Zacharie de savoir où était Rémi, il me dit que la compagnie est venue le chercher vers 13 heures et qu'il n'est plus revenu avant qu'on ne vienne le chercher et je me suis dit qu'il a dû effectuer le voyage de jour. Je continuai de m'interroger sur l'événement qui exige notre présence à Cotonou. Le commandant de bord me somma de me taire au risque de subir une sanction exemplaire. Cela ne m'intimida guère et il me menaça avec son arme. J'avais eu ce que je voulais. On me conduisit au Ministère de l'Intérieur, de là on m'achemina au commissariat de Cadjèhoun. La compagnie m'ôta ses menottes et le commandant de bord exigea qu'on m'en mette aussitôt d'autres pour éviter que je m'évade, que sinon je vais fuir.

A Cadjèhoun, j'ai été enfermé au violon sans contact et qu'aucun membre de ma famille ne sache où j'étais. En ce moment où la nouvelle de la mort de Rémi courait, il faut imaginer à quelle torture on soumettait mes parents. Moi à mon niveau je me disais que Rémi était détenu quelque part à Cotonou ou à Parakou. Surtout que le commandant de bord qui m'a conduit d'Abomey à Cotonou m'a confié 500 F pour Rémi en disant que quand je vais le rencontrer de les lui remettre. (Vous voyez le cynisme ! car il a participé à la torture de Rémi et de Souradjou). J'ai été soumis à une diète obligatoire et malgré mes protestations le commissaire n'a pas daigné me rencontrer pour m'assurer l'alimentation et son cynique adjoint me disait que leur souhait est que je meurs de faim et qu'ils iront me jeter à la morgue. Dans la mesure où vous voulez être des héros, disait-il, pourquoi réclamez-vous de la nourriture ?

Le 29 janvier 1988, BABALAO Alexis est venu me chercher pour Parakou, là j'étais convaincu que je retrouverais mon ami à l'aéroport, ou à Parakou. Dans l'avion, mes recherches sont demeurées vaines, mais à Parakou ma conviction est devenue totale. Arrivé au Poste de Police du Camp Séro Kpéra de Parakou, je fus accueilli par mon ami AHOUISSOU Christophe, une des victimes de la sauvagerie de I. GOUCHOLA qui me présenta mes condoléances par rapport à la mort sous torture de Rémi AKPOKPO. Imaginez le choc et mon état d'âme en apprenant de but en blanc la mort de mon ami. J'ai cru que nous allions nous voir bientôt car j'ai du mal à croire qu'il est mort.

Quelques minutes plus tard j'ai été pris en interrogatoire par le tandem Fousséni GOMINA-BABALAO, ils menacèrent de me faire roder et firent appeler leur homme de main le nommé SOSSA, mais ils le renvoyèrent car ils avaient fini avec moi en réalité.

Avant cet entretien Clément ZINZINDOHOU m'avait traité de délinquant et bandit qui trouble l'ordre public. Ce que je n'ai pas accepté.

Mais j'étais arrivé dans un contingent de gens indésirables comme moi et qui voulaient réactiver les luttes pour la dignité du prisonnier. Alors à quatre heures du matin le 7 mars 1988, j'étais embarqué avec 8 autres camarades pour la sinistre prison de Ségbana.

Disons que là les conditions de détention sont extrêmement difficiles : sans visite ni contact avec les populations environnantes. Nous vivons en déportation avec embrigadement, soumission aux travaux forcés, dans des cellules non aérées et sous un régime non équilibré sur le plan alimentaire. Le drame provient même du fait que les malades ne bénéficient d'aucun soin adéquat.

Une telle situation a fait que les maux mêmes bénins sont devenus compliqués et parfois incurables.

Les luttes des peuples, des travailleurs, de la jeunesse de notre pays et les pressions externes des autres peuples et les conflits d'intérêts ont fait que le 03 septembre1989 nous avons été libérés grâce aux mesures d'amnistie.

Je ferai un retour en arrière pour parler des traitements inhumains qui ont été réservés aux femmes et enfants qui ont été arrêtés au même moment que nous.

La femme de Rémi, AGONHOUN Catherine, bien qu'étant en état de grossesse a été gardée à vue à la brigade territoriale de Bohicon où elle se couchait à même le sol dans des conditions insalubres. Les jours d'interrogatoire, on venait la chercher le matin et elle ne revenait que le soir sans que GOUCHOLA ne se préoccupe de ce qu'elle a mangé ou de ce qu'elle mangera. A la mort de son mari Rémi sous torture, la flicaille a pensé que c'était le moment propice de la faire souffrir en la transférant à Cotonou où elle passera par le commissariat central et le Petit Palais avant d'être mise malgré son état dans un ACHAT pour le long et périlleux voyage Cotonou-Parakou. Elle fut isolée de ses compagnons de détention et sera relaxée quelques jours plus tard.

Pour elle, c'était la fin d'une longue période de tortures mais les bourreaux en avaient déjà décidé autrement depuis. Après l'accouchement elle apprendra la triste nouvelle de la mort de son mari. Elle continue de souffrir de cette douloureuse et brutal disparition. Les deux enfants de feu Rémi ne connaissent pas leur père. La fille avait eu la chance de le voir, quant au garçon, c'est deux mois et demi après l'assassinat de son père qu'il vit le jour. Tous ceux-là demandent que justice soit faite.

La mère de Rémi a été torturée sauvagement par le bourreau GOUCHOLA Irénée sans ménagement aucun. Elle a été mise nue et ils l'ont tapée. C'est un corps en sang qui a été déposé ce jour-là à la Brigade territoriale d'Abomey où étaient son mari et moi. C'était une torture morale sans limite. Elle avait perdu connaissance plus de deux fois dans la nuit et malgré tout cela elle était restée sans soins jusqu'à sa sortie. Elle ne doit la vie aujourd'hui qu'à l'attention de ses codétenus et à la compréhension de certains flics. Elle a vu tout son commerce péricliter et elle a des dettes énormes sur le dos et en plus de tout cela elle a perdu son enfant. Imaginez u peu ce qu'elle doit ressentir dans sa chair de mère et de victime.

Ma femme et mon enfant ont été détenus dans les mêmes conditions que la femme et la mère de Rémi. Le drame est que mon enfant était malade et est resté sans soins et aujourd'hui continue de traîner les séquelles de cette maladie.

Pour trois femmes et un petit enfant, ce n'était qu'un seau d'eau qu'ils avaient pour leur toilette du matin et un autre seau le soir. Il est arrivé des jours où on a empêché ma femme d'acheter de la bouillie pour le manger de l'enfant. Il y eut des jours où ils n'avaient pas à manger ; un exemple marquant : le 1er Janvier 1988 à Bohicon. Le jour où nous avons été arrêtés, ma femme revenait du marché de Pahou où elle était allée s'approvisionner. Rien de cela n'a été sauvé et les voleurs aussi sont venus ramasser les effets de mon enfant, ceux de ma femme et quelques uns de mes effets restés là. Ma femme est revenue trouver tous ces biens envolés à cause de la barbarie moyenâgeuse des ELEGBEDE, OGOUCHOLA et consorts.

POST SCRIPTUM SUR MA DETENTION DE 1979 à 1984

Je tiens à préciser que les sévices de la police ont commencé sur moi depuis le 19 mars 1979 à Abomey. J'ai été arrêté chez mon ami Rémi G. AKPOKPO en même temps que lui. A partir de neuf (09) heures ce jour-là, on l'a torturé jusqu'à 13 heures. On me torturera le même jour de 17 heures jusqu'à 20 heures en me cravachant. Le lendemain, on m'attacha les mains dans le dos et on me fit coucher sur le dos en travers d'un banc et on me mit le bout de fusil mitraillette dans l'oreille pour me sommer de parler. Et il faut vous dire que c'est avec du fil électrique que mes mains ont été attachées. Si on voit les AGONVINON, ils pourront citer leurs acolytes. On nous transféra à Cotonou et ce jour, ce qui est étonnant, les flics qui étaient de garde au commissariat central de Cotonou se sont jetés sur nous pour taper avant de chercher à savoir ce pourquoi on nous a amenés.

Vous voyez à quel degré d'aliénation se trouvent des hommes de mains du système !

Le 05 avril 1980, je fus transféré à la Prison Civile de Cotonou avec une trentaine de camarades.

Un bref retour en arrière est nécessaire pour dire que les interrogatoires se faisaient à l'école de Police où AGOSSA et ZODEOUGAN avaient des élèves policiers prêts à dévorer. Il y avait une élève géante et massive à qui AGOSSA disait de s'asseoir sur le prisonnier allongé sur le sol.

Le 30 août 1980, pour affaiblir notre force, la police nous divisa en deux groupes et je fis partie de celui qui a été envoyé à Porto-Novo où dès notre arrivée le régisseur GOUNOUKPEROU Dafia Pascal menaça de nous serrer et a commencé à exercer sa dictature sur nous. Imaginez qu'on nous fit coucher sous la pluie pendant plus d'un mois. Il faut dire que quand ça plaît à N'TCHA Jean et SOGLO ou NOUTAI, ils débarquent près de 150 gendarmes armés jusqu'aux dents pour matraquer, taper à coups de crosse, de godasses 11 personnes. L'invention est allée jusqu'à ce qu'on nous empêche d'aller à la toilette.

Dans tout cela il faut dire que nous avons été gardés sans jugement ni inculpation pendant près de 5 ans sans un seul espoir de dénouement.

Le 03 mars 1984, il y eut la grande évasion de la prison civile de Porto-Novo. Je fus arrêté le 06 mars1984 et gardé dans un container par GANHOUEGNON et transféré à Cotonou au Camp d'où nous nous évaderons le 23 juin 1984.Je ne rejoindrai ma famille que le 05 août 1984.


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MALEHOSSOU Souradjou

Age : 21 ans.

Demeurant à : Abomey.

Date d'arrestation : 18 janvier 1988.

Date de libération : 31 avril 1988.

Centres de détention : Camp d'Abomey ; Commissariat Central de Cotonou ; Camp Séro-Kpéra de Parakou.

J'ai vu et senti mourir mon aîné Rémi qui m'a sauvé la vie. Tout a commencé le 18 janvier 1988 à partir de 16 heures environ. J'étais en classe ce 18 janvier en train de réviser mes leçons quand mon Surveillant Général fit son entrée et me dit que le Proviseur a besoin de moi. Sans aucune autre déclaration, il me conduisit dans le bureau du Proviseur où étaient installés OGOUCHOLA et ses coéquipiers.

A mon entrée, OGOUCHOLA me demanda de déclarer devant mon Proviseur à qui je remettais les notes que AKPOKPO Rémi m'envoyait et aussitôt je serais libéré. Comme j'étais resté sans réponse, ils me conduisirent à la compagnie.

Mon entrée dans le bureau de déclaration fut accompagnée de paires de gifles, par où avait commencé la torture. Après m'avoir posé la même question plusieurs fois, je leur répondais que n'avais plus vu Rémi ni eu de ses nouvelles, il y avait plus de 2 ans.

Sous le signe d'un officier, une douzaine de soldats m'ont entouré avec des matraques, des cravaches et des menottes aux mains ; quelques secondes après, ils m'ont menotté le pied gauche avec la main droite et la main gauche avec le pied droit. Après m'avoir ligoté ainsi, des coups de matraques, des cravaches commencèrent par tomber sur moi. Une après que ce combat inégal (c'est un jeu de mots) entre une dizaine de soldats et un adolescent de 19 ans eut lieu, le capitaine OGOUCHOLA leur demanda de me faire passer dans son bureau où je croyais à ma libération prochaine, mais ce fut plutôt une autre phase de torture. Même les menottes enlevées je n'avais pas pu aller sur mes pieds dans le bureau du capitaine ; je tombais chaque fois que je me levais. Cet exercice repris plusieurs fois, je fus tiré comme un sac de maïs par terre jusqu'au bureau du capitaine où m'attendaient KESSO, OGOUCHOLA et un commandant de l'armée. OGOUCHOLA ordonna à ses agents de faire venir le Numéro 1 AKPOKPO Rémi. Il revient le corps tout gonflé et conduit de la même manière dans les escaliers que moi. C'est en ce temps là que OGOUCHOLA sortit une lettre et me la montra. Après cela il me reposa la même question, et obtenant la même réponse, il demanda à KESSO de m'aider à dire la vérité ; sous son signe, tous les agent reculèrent. Et la bataille continua, mais cette fois-ci plus pénible que l'autre car dans celle-ci, on recevait des coups de matraques et de pieds en désordres partout, dans le ventre comme dans les reins, on nous prenais et on nous jetait comme des sacs de maïs. Tout fatigués qu'ils étaient, OGOUCHOLA invita KESSO à nous exterminer ; celui-ci était en sueur aussi.

Puis il invita une jeune fille de son bureau à y aller. Celle-ci ne voulant pas nous taper déclarant qu'elle était malade, il lui dit que si elle n'exécutait pas, elle serait punie sévèrement. Une nouvelle phase de combat commence, mais cette fois uniquement des coups de matraque sur la tête. Une fois que le capitaine se rendit compte que c'est un bon moyen de nous achever, car il le dit à chaque fois qu'il a la matraque en mains : "Mon devoir c'est de vous achever et je le ferai", ce n'est qu'à 19 heures 30 environ que prenait fin ce combat et KESSO nous faisait comprendre que s'il n'a pas pris rendez-vous avec le préfet que nous verrons bien ce qu'est la vie. Leurs tenues sont mouillées de sueur tout comme si elles étaient trempées dans l'eau. Sous le signe du capitaine, les agents réapparurent et il leur ordonna de nous menotter le pied gauche à la main droite puis de nous mettre dans un coin. Le N° 1 Rémi après avoir retrouvé un peu ses esprits mit sa main sur ma poitrine pour s'assurer de l'allure de ma respiration. Je lui répondis par le même geste en retour et je remarquai que sa respiration était très lente, et après quelques minutes, elle s'était coupée complètement. J'ai "Au secours !" ; le garde intervint et téléphona rapidement au capitaine ; celui-ci arriva et lui enleva les menottes et lui pratiqua la respiration artificielle mais ceci fut vain. Ils le conduisirent à l'hôpital de Goho et après toutes les analyses le Médecin qui était de garde leur déclara qu'il était mort. Dans la nuit même, il fut conduit à Cotonou.

Avant qu'ils ne revinrent de Goho à la Compagnie, moi-même j'ai failli rendre l'âme. J'avais perdu connaissance ; ils m'enlevèrent les menottes et me conduisirent à Goho, où le Médecin de garde protesta : "Pourquoi tuez-vous les gens d'abord avant de les conduire vers nous ?" Là j'ai eu un peu de nouvelles sur la mort de notre ami. Il refusa de me garder et je fus reconduit dans le camp de Goho sur le terrain de football, sans aucune amélioration, les gardes nous renvoient à l'ex hôpital d'Abomey où j'ai passé le moment le plus difficile de ma vie. Après une semaine presque dans le coma, je me suis retrouvé tout lourd, surchargé de maux tels que les maux de rein, de tête. Jusque-là les parents n'ont pas beaucoup droit de rester avec moi. Ce qui va bloquer mes soins est maintenant le payement des ordonnances ; et c'est mon père qui est en prison pour le même problème qui sortait son argent pour les payer même, 1a radiographie.

Plus de quatre-vingts mille (80.000) francs CFA ont été dépensés pour rétablir une partie de ma santé car jusqu'ici je souffre de certains maux.

Le 20 Mars l988 nous fûmes conduits à Cotonou alors que les soins ne sont pas terminés. Et malgré qu'une commission soit envoyée par l'intérieur depuis Cotonou, ils n'avaient pas dit mot sur le payement des ordonnances. A Cotonou, nous étions installés au commissariat central où personne ne demandait d'après moi pour ma santé, et c'était encore mon vieux qui me payait encore les comprimés nécessaires.

Peu à peu pendant ces durs temps quelques maux étaient partis mais il restait les maux de tête et de rein qui persistent jusqu'ici.

Après avoir passé 21 jours au commissariat central, nous fûmes conduits au Petit Palais de Cotonou où une autre torture nous attendait. On nous avait mis dans un garage rempli de moustiques et c'est là que nous allions passer 2 jours; puis on s'était mis sur la voie de Parakou ; là-bas on était intégré dans un monde de prisonniers où la vie était plus supportable que celle qu'on avait vécu à Cotonou. Car on rentrait en chambre à 18 heures et ce n'était qu'à 7 heures du matin qu'on nous ouvrait la porte. On nous nourrissait comme des cochons jusqu'à ma sortie du Camp Séro-Kpéra le 31 Avril 1988. Mon père libéré presque un mois avant moi, je n'avais plus un franc sur moi pour les frais de voyage. J'ai été les voir pour ce problème de voyage et ils me demandèrent s'ils avaient tort de m'avoir libéré. Donc que je pouvais périr à Parakou. Je m'étais lancé en promenade avec des sacs sur la tête, et par chance j'ai croisé une connaissance à la gare de l'O.C.B.N. qui m'a fait voyager avec son propre argent. Arrivé à Abomey, j'ai repris les cours mais après une heure d'étude j'ai commencé par avoir les maux de tête et j'ai dû laisser cette année-là s'écouler. La nouvelle reprise me créa aussi les mêmes problèmes jusqu'à ce qu'elle fût déclarée blanche. Même à l'heure où j'écris ces lignes, la situation n'a pas changé.

En gros c'est la mort de Rémi qui m'a donné encore la vie et surtout l'éveil de nos amis de France qui ont publié dès le lendemain, la nouvelle de cette mort de Rémi. Sans quoi, OGOUCHOLA pouvait reprendre la bataille avec moi.

Pourquoi nous ont-ils torturé, manoeuvré jusqu'à tuer Rémi et d'autres. Je crois bien pour avoir réclamé la démocratie et le rétablissement de certaines choses dans ce pays : où en sommes nous aujourd'hui ? Nous tendons vers l'objectif principal. Et ceux qui ont sacrifié leur vie vont nous aider à réussir nos plans. Nous devons aller jusqu'au bout !

Abomey, le 11 Mars 1990.


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Moussa MAMA YARI

Né : en l951 à Kouandé ; Bariba

J'étais régulièrement inscrit en tant qu'étudiant en 3è année de Sciences Economiques quand j'ai été appréhendé pour la première fois le 20 Novembre 1979. C'était lors des premières élections de commissaires du peuple. Sur ces élections, le Parti Communiste du Dahomey s'était prononcé contre à travers des tracts et des graffitis et avait ordonné le boycott de celles-ci. En application de ce mot d'ordre un groupe d'étudiants avait pris d'assaut le bureau de vote de l'Ecole des Soeurs près de l'Eglise St Jean de Cotonou. J'étais de la partie. Le groupe était conduit par Emmanuel ALAMOU, 3è responsable des étudiants qui avait conduit la première grève après l'écrasement du soulèvement populaire en 1975 suite à la mort de Michel Aïkpé. A cette action donc, notre camarade avait prononcé son discours faisant le point rapide de la situation marquée par le bâillonnement total des libertés du fait du régime antipopulaire qui nous dirigeait. Il avait caractérisé ces élections comme une mascarade et en conséquence avait demandé d'exécuter le mot d'ordre de boycott. Le camarade avait été applaudi par les étudiants alors présents pour la manifestation. Suite à ce mot d'ordre, le milicien du nom d'AGUEMON qui supervisait ce bureau de vote s'était mis à poursuivre le camarade Emmanuel qui prit la fuite. Pour protéger le camarade Emmanuel qui était déjà recherché par la police politique, le nommé Adam MAMA YARI lance un crochet au milicien qui tombe. Ce qui permit à l'autre de disparaître. Aussitôt le milicien change de cible et se met à poursuivre Adam. Ce dernier est pris par un autre camarade sur un engin dont la vitesse ne pouvait répondre à l'exigence de la situation. D'où mon intervention avec mon engin qui semblait plus en forme. Malheureusement l'alerte était déjà donnée et plusieurs personnes étaient désormais à nos trousses. Il y avait beaucoup de gens sur les voies du fait de ces élections. Nous ne pouvions plus éviter les gens. C'est ainsi donc que nous étions appréhendés. Et par le hasard des faits nous étions deux frères.

Il faut signaler qu'à cette époque notre peuple pour une écrasante majorité était bien mystifié, trompé, dupé. Kérékou, aidé des traîtres au mouvement démocratique, bénéficiait d'un soutien manifeste. Kérékou était tout-puissant car il avait boisé toute résistance de la part de nos aînés. Mais malgré cette "toute-puissance" la génération des étudiants que nous étions, avait adhéré aux idées du Parti Communiste du Dahomey. Nous étions contents d'avoir un tel éclairage pour aller à l'assaut d'un tel pouvoir. Nous nous retrouvions aux avant-postes de combats contre les actions de ce pouvoir pseudo-révolutionnaire policier et répressif. Nous avions une confiance infinie à la prochaine victoire du peuple sur ce pouvoir mystificateur. Nous étions animés d'un engouement tout spécial, d'un enthousiasme à toute épreuve. Nous savions et étions bien conscients que ce que nous faisions pouvait nous conduire en taule avec des tortures et autres sévices corporels et la perte de nos études et de nos boulots. Mais la force de nos convictions, la foi en l'avenir radieux de notre peuple, la combativité des uns et des autres était plus forte que l'idée des tortures, des sévices, des misères à subir face aux limiers du Petit Palais et dans les geôles. Et puis nous étions bien renforcés par les riches expériences des autres peuples. Cette parenthèse étant, je reprends mon récit.

Appréhendés, nous étions conduits à l'Etat Major devant un Colonel qui était un cousin à nous. Nous étions au Poste 300 de 11 heures à 18 heures avec un premier interrogatoire de routine. Vers 18 heures un véhicule de la Direction de la Police d'Etat était venu nous chercher pour être amenés à la DPE face à la grande Poste de Cotonou. Nous avions en face de nous Monsieur Marc GUINNIKOUKOU, Adjudant, de Monsieur Edouard ZODEOUGAN alors DPE. La question immédiate qui les intéressait c'était de leurs indiquer le nom et l'identité du camarade qui était pourchassé et qui avait pu échapper. Là où on pourrait le retrouver. Il est évident qu'elle (la police) ne pouvait avoir un tel renseignement de notre bouche. Nous avions déclaré ignorer un tel bonhomme. Aussitôt un billet d'écrou a été fait pour nous devant nous conduire au commissariat central, Adam pour le violon 1, et moi pour le violon 2.

A notre arrivée nous sommes déshabillés, chacun enfermé dans sa cellule. Au violon 2, je trouverai deux camarades pris quelques mois auparavant: Simon KOUDEZIN et Léon YELOME. Le reste était des détenus de droit commun pris pour vol, délinquance, bagarre, escroquerie, etc...

Quelques caractéristiques du violon 2 (V2).

Le V2 est réservé aux éléments "dangereux". Ses dimensions : 1,20 mètre de largeur sur 2,5 mètres de longueur. Un battant en fer avec une petite grille servant d'ouverture ; ce battant est toujours fermé. Les prisonniers des violons V1, V2 et de la grille sont "sans contact", enfermés 24 heures sur 24, interdits de communiquer avec l'extérieur. Une seule sortie aléatoire tous les matins pendant 15 minutes au maximum pour faire les besoins et la toilette. Cette sortie peut être remise en cause à tout moment suivant l'humeur des gardiens et on y rencontre de tout genre ou pour une raison ou une autre. On reste en slip assis ou couché à même le sol nu, les murs noirs encrassés de toutes les saletés possibles. On sue à grosses gouttes, on pue. Une cellule où il fait toujours sombre et où il est absolument impossible de lire. D'ailleurs c'est interdit d'y introduire un papier de quelque forme que ce soit. Les limiers veillent à tout moment contre toute infraction à leur législation policière. Il y avait un grand pot, en fait des seaux avec couvercles pour nos besoins, puisque nous sommes enfermés 24 heures sur 24 comme je l'ai dit plus haut. Les moments les plus difficiles entre autres misères, c'est quand un codétenu doit faire ses besoins. Il le fait au vu et au su de tous les autres détenus. Vous imaginez tout le baume qui envahit toute la cellule et même tout le poste de police. On est alors obligé d'avoir du Crésyl pour essayer d'atténuer les efforts des odeurs. Cette description me donne de la chair de poule à l'instant où j'écris ces lignes. C'était la triste et dure réalité qu'il fallait vivre avec des déclassés de la société des lumpens avec leur morale puante. Toutes les conditions visaient à nous abattre le moral et nous rendre faible devant la police pour qu'elle extorque le plus de renseignements possibles. L'objectif étant de t'anéantir et de te retourner contre tes camarades et ton organisation. Au sujet de ce cachot, je dois préciser que nous étions régulièrement au nombre de dix personnes quand nous ne sommes pas nombreux. Quand il y avait des rafles on atteignait parfois 25 personnes. Arrêtons là pour le moment et abordons la phase des interrogatoires.

Mon cas parmi nous deux intéressait plus la police politique et elle misait faire une bonne "affaire" avec moi : me soutirer le maximum d'informations sur le Parti. Mon nom était sur leur liste. Un interrogatoire choc fut organisé pour moi à l'Ecole de Police où j'ai été conduit pour la circonstance. Mes camarades de cellule m'avaient rappelé le comportement à avoir face aux flics et les procédés utilisés pour extorquer les aveux. J'étais donc prêt à tout. L'interrogatoire était dirigé par Mama YACOUBOU (gendarme en retraite ancien directeur du Petit Palais), LAHADE un officier de Paix, GOMINA, SAMSON WOSOU actuellement directeur des affaires consulaires au MAEC, TCHOROWE Martin et un dernier, un Bariba dont j'ignore le nom. A part LAHADE, tout le reste était des hommes du Nord. C'était bien conçu pour m'avoir puisque bon nombre me connaissaient ou connaissent mes parents. Etant un jeune du Nord connu par eux, ils pouvaient espérer par ce conditionnement psychologique que je livre ces "FONS" ces "DANXUME". Malheureusement ils ne savaient pas au fond à qui ils avaient à faire. La première question après avoir décliné mon identité, c'était de décrire les circonstances de mon arrestation. Ce que je fis sans gêne. Ils ont demandé le nom et les renseignements sur le camarade qui a fui. Je ne connais pas. Nous sommes passés rapidement sur les autres questions, étant donné les informations en leur possession.

Deuxième question : Qu'est-ce que c'est que le PCD ? Troisième question : Connais-tu un tel ?

J'ai répondu à toutes ces questions par la négative. La 3ème question était le point nodal de leur interrogatoire. A mon non ferme, ils ont demandé l'intervention de deux flics pour me prendre en compte. Ceux-ci, bien contents avaient chacun un fouet communément appelé "SOMKPAKA". J'étais en slip. Ces deux gaillards m'avaient bien pris en compte, encerclé par eux. Cela a duré 30 minutes. La caractéristique de cette chicote ou plutôt de ce fouet une fois qu'elle touche votre corps c'est de vous enlever de la chair. Après cette torture mon corps était comme une peau de zèbre. Des plaies partout. Ils sont revenus sur cette 3ème question. J'étais devenu plus ferme. J'ai répondu par la négative. L'intervention sollicitée de l'officier supérieur ne changea pas ma position. L'interrogatoire s'arrêtera là puisque n'ayant rien tiré de moi. Je fus reconduit au V2. Mon frère n'ayant pas été interrogé avec la même rudesse.

J'ai été pris en compte une deuxième fois par GOMINA et Samson WOROU. C'était cette fois-là le matraquage psychologique, l'usage de la carotte avec toutes les promesses de liberté si je révélais les informations dont ils avaient besoin. Ce matraquage visait à me faire comprendre que je m'égarais en suivant les sudistes, les Fons. Pourquoi moi un type du Nord je m'opposais au régime de KEREKOU ? Qu'est-ce qui me manquait ? Bref un laïus de ce genre m'était tenu. Mais sans succès.

Ne pouvant aller aux soins, mes camarades ont dû utiliser les antibiotiques "Ampicillin" généralement appelés "Nu Kpo go kpo" pour faire cicatriser les plaies. Couché à même le sol avec ces blessures sur tout le corps, c'est la misère, des souffrances indescriptibles. Au violon 2, j'y suis resté jusqu'en Juin 1980 date de notre transfert à la Prison Civile de Cotonou.

Comme la détention durait déjà huit mois pour certains, quatre mois pour d'autres, nous avions organisé une grève de la faim pour 48 heures largement diffusée par les camarades à l'extérieur. C'était pour protester contre notre détention déjà prolongée sans qu'on sache à quoi on était destiné. La réponse à cette grève c'était notre transfert en prison. Le premier camarade à être conduit en prison était Simon KOUDEZIN. Nous l'avions rejoint deux mois après. Suite à nos protestations on nous a donné le statut "d'internés administratifs".

Le 30 Août 1980, j'étais encore transféré pour la prison civile de Porto-Novo dans un groupe de quinze détenus politiques liés à la question du PCD. Ce transfert faisait suite à une action menée pour infliger une correction à un provocateur lié au service de renseignements du nom TAOFIK introduit parmi nous comme un étudiant arrêté aussi pour fait de grève et chargé de rapporter à la police politique les menus faits de notre existence et de nos déclarations. Ayant réalisé un recoupement de faits sur son identité et son itinéraire universitaire, nous avons pu conclure que ce n'était pas un étudiant. Par la suite nous avons établi des preuves des lettres qu'il envoyait par le biais d'un autre agent des renseignements. C'est ainsi que nous nous sommes résolus à lui régler son compte. C'est en représailles à cette action que le pouvoir a divisé le groupe des étudiants et professeurs (une trentaine environ) en deux pour envoyer une partie à Porto-Novo.

Le Chef geôlier de la Prison de Porto-Novo du nom de Pascal DAFIA GOUNOU KPEROU, originaire de Kandi, actuellement en retraite, se passait pour "un homme canaille qui casse les durs". C'est ainsi que notre groupe lui fut envoyé, groupe comprenant les chefs du mouvement protestataire des étudiant. Monsieur GOUNOU KPEROU avait promis à l'autocrate qu'il nous conduirait à coup sûr à "écrire la fameuse lettre de pardon". Il devait arracher notre reddition totale face à Kérékou qui suivait personnellement le plan. Le Monsieur avait les entrées libres à la Présidence pour voir directement Kérékou. Sur la question du PCD Kérékou était déjà en ces années reculées hors de lui-même quand on lui en parlait. Il était prêt à tout donner pourvu qu'on réussisse à lui enlever cet os de sa gorge. Il donnait donc directives sur directives.

Remarquons ici qu'en prison, faire écrire une lettre de pardon est un moyen d'action utilisé par le pouvoir pour détruire la personnalité du détenu politique et même le transformer en collabo. C'est ainsi que déjà au commissariat central ce moyen a été utilisé pour avoir Philippe ZOCLANKLOUNON qui a livré des renseignements sur des camarades et le mouvement. Fort de cette première expérience, nous avons réussi à avoir à la prison de Cotonou l'unanimité qu'il ne fallait plus écrire une telle lettre. Le faire c'est renier le combat que nous menions pour la renaissance du mouvement démocratique que nous venions de reconstruire.

A Porto-Novo, le plan central du geôlier était basé sur la rédaction de cette lettre de pardon. Il comptait réussir cette mission dans cette prison de Porto-Novo, vieille prison coloniale où Monsieur DAFIA GOUNOU KPEROU régnait en despote absolu. I1 utilisait des méthodes archi-patriarches pour diriger la prison. La cravache "SOMKPAKA", la matraque, la planche de bois bien taillée généralement appelé en langage vulgaire "parmatoire" servent à infliger des tortures physiques à de pauvres paysans, à de jeunes gens pris pour vol de régime de palme, de mangues et autres délits. Il terrorisait cette masse de prisonniers faméliques, aux visages désossés, parce que mal nourris, entassés comme des sardines dans les bâtiments, soumis à de basses besognes. C'était un véritable enfer sur terre. C'était bien affreux et révoltant pour des intellectuels comme nous de voir ces traitements inhumains et dégradants infligés à des êtres humains par d'autres qui s'en vantaient. Ce patriarche misait sur ce climat de terreur pour nous abattre le moral et atteindre son objectif. Avant notre arrivée il avait interdit aux droits communs de nous porter secours sous quelques formes que ce soit.

Toutes ces dispositions prises, le geôlier met au point différents scénarios pour nous provoquer et nous mater proprement en vue de notre reddition totale. Ces provocations en bonne et due forme se résument comme ceci :

1°) Pour pénétrer dans la prison de Porto-Novo, nous entonnions une chanson Fon : "So ma dé ma dé, mi lè na gba yé...". Cette chanson énerve le chef geôlier qui était hors de lui-même. Il tempête. A un camarade qui tente de s'asseoir sur un banc dans son bureau sans autorisation, il administre une gifle en le traitant de mal éduqué. Nous protestons et refusons de nous asseoir quand il nous demanda de prendre siège. Alors commencent vociférations, injures, calomnies, mensonges et dénigrements. Dans cette prison, nous promet-il, la pagaille de l'Université va prendre fin. Il va nous réduire. Nous serons enterrés vivants, nous précise-t-il

2°) Le lendemain de notre arrivée, il nous fait sortir de notre cellule, nous aligne et met en face de chacun de nous un droit commun. Il entonne les différents slogans révolutionnaires alors à la mode : "EHUZU, SUKA TI YINAN, ABERE..." et nous demande de répondre. Nous refusons de répondre et commençons notre agitation contre le pouvoir. Il s'énerve et ordonne aux droits communs de nous frapper. Il s'y joint et donne des coups de poings. Notre agitation porte et les droits communs se retirent. Il ordonne de mettre certains d'entre nous en cellule. Il nous promet d'être plus terrible la prochaine fois.

3°) Pour diviser notre unité d'action, il décide de nous répartir dans les différentes grandes cellules appelées "BATIMENTS". Nous refusons d'obtempérer. Ce jour-là nous l'avons fustigé proprement et avons mis à nu sa terreur instaurée. Il avait le profil bas et son autorité était entamée sérieusement. Un vent de liberté commençait à souffler. Les traitements inhumains faits publiquement avaient cessé.

4°) Pour pouvoir jouer sur notre moral il a joué des pieds et des mains pour faire libérer quatre (4) parmi nous qui avaient signé la lettre de reddition. Nous nous opposons à leur libération et exigeons la libération immédiate et sans conditions de tout le monde. Ils font intervenir un détachement de près de 40 personnes pour nous neutraliser et les faire évacuer.

5°) La dernière provocation vécue qui a conduit à une stabilisation des positions fut organisée le 16 Novembre 1980. Elle fut conçue en liaison avec l'Etat Major Général de la gendarmerie qui dégagera un détachement de 80 personnes pour conduire l'opération. Ce jour-là, le gardien chef provoque littéralement un de nos camarades et le gifle. Ce dernier riposte. Les autres agents vont au secours de leur chef et tapent le camarade. Les droits communs nous alertent. Aussitôt nous réagissons. La bagarre s'engage. Une pause intervient. Quelques instants après le détachement de 80 agents qui était déjà en alerte débarque avec des matraques. Les droits communs étant enfermés dans leurs bâtiments, nous étions les seuls sur la cour. La rage des agents se déverse sur nous. Ils nous matent proprement. Ce jour fut pratiquement un jour de "deuil". Ces scènes de bastonnade étaient affreuses, ignobles à voir. Les âmes sensibles n'ont pu retenir leurs larmes en voyant ces scènes horribles.

Notre geô1ier et ses hommes pensaient avoir réussi leur coup. Mais très tôt ils déchantèrent. C'était une équation impossible à résoudre que de venir à bout de notre détermination. Nous avions une conscience claire de notre responsabilité dans la reconstruction du mouvement démocratique et de notre choix idéologique. Nous étions prêts à tous. Il faut préciser que pendant tout ce temps les visites de nos parents étaient interdites. Mieux les geôliers intimidaient ces parents, nous dénigraient, nous calomniaient pour obtenir la pression de ceux-ci sur nous. Mais rien ne changera d'un seul iota nos positions de principe.

Notre reddition devant Kérékou, notre Wassangari Pascal DAFIA GOUNOU KPEROU et son maître Kérékou ne l'auront jamais eue. N'ayant pas réussi sa mission Monsieur DAFIA fut affecté.

Dans la nuit du 03 Mars 1984, nous avons organisé une évasion collective de dix (10) personnes qui a réussi. C'est ainsi que j'ai pu me retrouver hors des murs lugubres de cette prison. Nous venons de conquérir notre liberté.

Mais à partir de Mai 1985 commence pour moi une période de clandestinité totale qui durera jusqu'en Octobre 1988.

Le 24 Octobre 1988, je fus repris par la brigade de Sèmè-Kpodji. Après l'interrogatoire subi aussitôt je fus immédiatement menotté pour être conduit au MISPAT puis au commissariat Immigration-Emmigration pour être finalement gardé au commissariat du Port pendant deux semaines. Le 11 Novembre 1988, je fus transféré au camp Guézo où m'attendait le capitaine TAWES qui, pour la circonstance, avait déjà mobilisé sa compagnie. Après les formalités d'identification je fus déshabillé et pris en compte pour le rodéo classique que bon nombre de camarades avaient subi. De 12 heures à 14 heures, sous le soleil ardent, les soldats avaient chacun qui son ceinturons, qui une chicote, qui une planche de bois, bref tout ce qui tombait dans la main de tout soldat était utilisé pour exécuter la basse besogne. Mouillé, roulé, les coups pleuvaient sur le corps. C'était bien horrible. Mais c'est bien le rodéo. Au bilan, j'ai eu les métacarpes brisés.

Je fus gardé au Poste 200 où je retrouvai encore une 2ème fois mon camarade Léon YELOME qui était également repris pour la 3ème fois. Nous avons séjourné au Poste 200 de Novembre 1988 à Avril 1989. Le 11 Avril 1989 nous fûmes transférés pour la prison civile de Cotonou où nous sommes restés jusqu'à notre libération le 1er Septembre 1989.

EN CONCLUSION

Sous le règne de Kérékou, notre peuple a vécu dans un état d'ensauvagement total dans la pure barbarie. Des barbares qui régnaient en maîtres absolus et qui faisaient subir dans un cynisme écoeurant des traitements inhumains et dégradants à de simples citoyens, traitements qui vont jusqu'à des pertes en vies humaines. Cas de nos camarades Rémi AKPOKPO GLELE, Serge GNIMADI, Luc TOGBADJA et beaucoup d'autres gens tués pour un oui ou un non dans cette nuit noire de la barbarie. Des détenus parqués comme des animaux dans des cachots obscurs sans aucune aération. Un grec qui était détenu au commissariat central constatant le caractère ignoble et barbare des conditions de détention au Bénin a traité les détenus "d'esclaves" qui ne comprenaient rien aux questions de libertés, puisque ces détenus ne connaissant rien de leurs droits et se résignaient à leur sort. Des détentions illimitées, sans jugement, justifiées par la Loi sur l'internement administratif votée sous Maga. Loi dont nous ignorions le contenu, la signification. Du coup nous avons très peu combattu cette Loi. Baignés dans cet ensauvagement général de notre peuple, nous avons subi toute cette répression dans une méconnaissance totale des droits élémentaires de l'Homme. Ayant mis le cap sur les libertés politiques et combattu pour leurs conquêtes, notre pays s'achemine aujourd'hui et à coup sûr dans la voie de la démocratie et la liberté. Mais nous ne nous faisons pas trop d'illusions. Car nous sommes à l'époque de l'Impérialisme. Et l'Impérialisme est négateur de la démocratie. Avec les cliques pro impérialistes qui nous gouvernent ces conquêtes peuvent être remises en cause à tout moment. Avec l'interview à l'allure fasciste de Monsieur FELIHO le Lundi 16 Avril 1990 à l'occasion de l'ouverture du Séminaire de la police on peut bien se rendre compte de cette possibilité objective. C'est pourquoi, la création d'une association de défense de Droits de l'Homme est une initiative heureuse et nécessaire pour défendre les Droits de l'Homme et combattre toutes tentative de leur remise en cause. J'opte pour le caractère anti-impérialiste de cette association. Compte tenu de l'expérience vécue sous la barbarie de Kérékou, cette association devra enseigner dans ses moindres détails toutes les notions ayant trait aux Droits de l'Homme. Elle devra se déployer sur toute l'étendue du territoire, pénétrer le tréfonds de nos peuples pour en extraire les aspects patriarcaux bloquant les progrès de nos sociétés. Le caractère anti-impérialiste de cette association permettra à nos peuples de mieux discerner la démocratie véritable pour les peuples des démocraties troquées, enrobées de tout vernis. Les relations futures de cette association avec d'autres ligues ou organisations de défense des Droits de 1'Homme enrichiront à coup sûr l'expérience de celle-ci. Elle devra être d'une vitalité, d'un dynamisme et d'un militantisme à toutes épreuves. Ce qui permettra d'enraciner les Droits de l'Homme au sein de notre peuple pour sa libération totale.

L'exigence du châtiment exemplaire des tortionnaires doit être reprise fermement et défendue par principe.

Enfin, je dois rappeler qu'en dehors des cinq derniers mois de ma deuxième détention, je n'ai jamais été nourri par le régime qui m'a fait arrêter et garder pendant toute cette détention.

Le jour de mon arrestation, j'ai été pris avec mon engin qui est avec eux. C'est une BBCT. Le premier engin avait été également pris. Les tentations de les récupérer en Août 1984 après la mesure de grâce du Président ont échoué lamentablement. Il faudra récupérer ces engins.

En avant pour la mise sur pied d'une véritable ligue des Droits de l'Homme.


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N'DA SIRA BARNABE

Economiste Planificateur

Sans emploi.

J'ai été mis aux arrêts le Lundi 27 Avril 1987 par le Commissaire Mèbounou à l'Aéroport de Cotonou alors que je revenais de Moscou en fin d'études, ceci sans mandat d'arrêt. Une fois les formalités terminées, je fus conduit au Petit Palais où, dès l'après-midi, j'ai été soumis à l'interrogatoire du capitaine Fousséni GOMINA assisté de quatre de ses collaborateurs officiers dont j'ignore les noms. Du papier m'a été remis par la suite pour rédiger une déclaration. Après cela, plus rien jusqu'à ce que je sois déporté à Parakou le l9 Octobre 1987, soit environ 6 mois passés au Petit Palais.

A Parakou, j 'ai été interrogé par ZINZINDOHOUE Clément puis par le Capitaine BABALAO Alexis sur fond de menaces ; deux déclarations différentes leur furent remises. Je dois dire que notre vague a eu la chance de ne pas subir des tortures physiques. Néanmoins, certains noms de personnes s'étant particulièrement illustrées dans les bastonnades infligées à des camarades peuvent être cités : au Petit Palais : il s'agit de TOVIESSI Vincent, caporal ABOUDOU, le fils de MAMA DJOUGOU etc, à Parakou : AGONKAN Alphonse, ZATO, GBAGUIDI, KOUSSEMOU, les donneurs d'ordre étant GOMINA Fousséni, ZINZINDOHOUE Clément, BABALAO Alexis, HOUSSOU Patrice.

Au Petit Palais, c'est dans le garage que nous étions enfermés. Selon l'humeur du chef de poste, on pouvait se voir refuser l'autorisation de prendre un bain ou d'aller au WC; ainsi il nous était arrivé en Juillet 1987 de passer quatre jours sans mettre pieds dehors, obligés à satisfaire les besoins dans la cellule où il n'existait pas de pot. On nous a fait subir ce calvaire en nous obligeant à dormir sous ampoules allumées et pendant plus d'un mois et demi, interdiction nous avait été faite d'allumer du "Mosquito" afin de lutter contre les moustiques. Toujours dans le cadre des tortures morales, à Parakou, les autorités du Camp ont longtemps renvoyé des parents et visiteurs arrivant de très loin (Natitingou par exemple) me saluer. La pratique du sport nous avait été refusée un certain temps et n'a fini par être autorisée qu'après plusieurs plaintes et avec l'arrivée de la CROIX-ROUGE.

Quant aux cellules de Parakou, il arrivait selon le flux de détenus qu'on se retrouvât à plus de la trentaine dans des pièces exiguës. Les rations alimentaires étaient généralement insuffisantes et de qualité médiocre, ce qui a été l'objet de maintes plaintes également. Pour notre santé, c'étaient les sempiternelles nivaquine et aspirine, qui manquaient d'ailleurs, n'eût été l'aide de la Croix-Rouge. Ce n'est que vers la fin que nous nous sommes vus acheter quelques produits pharmaceutiques.

Les relations avec nos geôliers ont souvent été des relations conflictuelles soit par excès de zèle, soit par provocations ou mouchardage, soit encore quand les autorités du Camp prenaient des mesures de détention arbitraires remettant en cause les bouts de droits conquis. Un de ces conflits fut l'épreuve de force qui a failli avoir lieu le 16 Mars 1989 alors que nous avions déclenché une grève de la faim pour protester contre les arrestations et détentions illégales. J'ai été libéré le 14 Juillet 1989, après deux ans et trois mois de détention.

Je n'ai pas été torturé physiquement dis-je, mais les traitements subis, et surtout les séances de tortures de plusieurs camarades, qui faisaient avoir la chair de poule voire même couler des larmes, ont montré l'extrême barbarie du régime moyenâgeux du Général Kérékou et la nécessité de lutter pour le respect des Droit de l'Homme tels que promulgués par la Déclaration Universelle des Nations Unies, ceci dans le cadre de l'édification d'une nation civilisée. Aussi tous les tortionnaires doivent-ils être repérés, traduits en justice et châtiés, et les victimes de la répression du pouvoir autocratique dédommagées matériellement et moralement. J'apporte donc mon soutien à l'Association des Anciens Détenus Politiques dont le but est de promouvoir réellement les Droits de l'Homme et du Peuple au Bénin.


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NOUDJENOUME Philippe

Age : 42 ans ;

Profession : Professeur Assistant à l'UNB ;

Motif des l'arrestations : Affaire PCD.

1°) Dès 1975 : je suis mis sur la liste d'exilé volontaire

2°) Arrêté en Avril 1979 et libéré en 1979 ;

Motif : Appartenance au PCD;

Lieu de détention : ex Direction de la Police d'Etat.

3°) Arrêté le 26 Juin 1979 ;

Motif : Appartenance PCD ;

Détenu jusqu'en Mars 1984 ;

Lieux de détention : SUC, PC COTONOU, PC PORTO-NOVO.

Evadé de prison en Mars 1984 ;

Clandestinité de Mars à Août 1984

4°) Poursuivi par la police politique du PRPB en Juillet 85 ;

Rentré en clandestinité de Juillet 85 jusqu'à la mesure d'Amnistie du 30 Août 1989.

COMMENT J'AI SOUFFERT DE LA POLITIQUE DE KEREKOU PRPB

J'étais étudiant en France, responsable de l'Association des Etudiants Dahoméens (A.E.D.) quand intervint l'arrestation à COTONOU des militants de l'UCD en 1976. Je saurai plus tard que dès ce moment mon nom avait été mis sur une liste noire.

C'est ainsi que retourné au pays en 1978, je fus arrêté le 26 Avril 1979 à la frontière Hilla Condji alors que je me rendais à Lomé. Le responsable de la Brigade du lieu me fait voir que j'étais en fait interdit de sortir, que mon nom avait été envoyé à tous les postes de frontière avec consigne de m'appréhender si je tentais de sortir. On me faisait comprendre que j'étais soumis à une surveillance serrée. Le maître d'oeuvre était le MISON d'alors AZONHIHO Dohou Martin.

Je fus ainsi détenu du 26 avril au 11 Mai à l'ex Direction de la Police d'Etat et relâché après une perquisition serrée à mon domicile.

La grève des étudiants de Juin 1979 éclata. Le 22 Juin ce MISON fit convoquer au grand amphi du Champ de foire tout le corps enseignant du Supérieur où j'étais mis en vedette comme le plus grand subversif de l'Université avec force menaces sur ma sécurité. Dans cette lancée je fus arrêté le 26 Juin 1979. De Juin 1979 à Juin 1980 je fus détenu à la Sûreté Urbaine de COTONOU (SUC) ex Commissariat Central (Salle de Trafic ; Maison Blanche).

Le 6 Juin 1980, je fus transféré avec un certain nombre de détenus politiques, étudiants, élèves, fonctionnaires à la Prison Civile de COTONOU où nous fûmes enfermés dans les salles des droits communs avec des situations inhumaines.

A la suite d'un mouvement de protestation de notre groupe face aux traitements dégradants auxquels on était soumis, les autorités policières scindèrent le groupe en deux et je me retrouvai dans celui qu'on considérait comme le plus dangereux envoyé à la prison civile de Porto-Novo aux mains de l'Adjudant Chef Pascal GOUNOU KPEROU, régisseur de la prison, responsable de la lutte contre les tracts dans la province de l'Ouémé. C'est là que commencèrent pour moi les plus grandes tortures physiques et morales que j'ai eues dans ma vie de détention. Se donnant pour tâche de nous réduire ou de nous "casser", GOUNOU KPEROU se lança dans l'administration des tortures. Dès notre arrivée, il nous aligna avec chacun un gaillard costaud (prisonnier de droit commun, et se mit à pousser des slogans "révolutionnaires" du PRPB. C'était la première séance de dressage. A notre refus de répondre aux slogans il ordonna qu'on nous bastonne. La séance de torture a duré presque une heure. L'Adjudant même face à notre fermeté de céder à ses injonctions, s'est jeté sur certains d'entre nous avec des coups de poing. BOURAIMA MALEHOSSOU par exemple en reçut dans le ventre; ce qui continue de lui causer des troubles jusqu'à ce jour. A la suite de cette séance de tortures, je fus désigné comme meneur de groupe par le régisseur et enfermé dans une cellule sans lumière et sans aération, au sol humide et non cimenté, sans vêtement et sans natte pendant une journée.

Les tortures se poursuivirent et connurent leur paroxysme le 02 Novembre 1980 quand après une provocation orchestrée par eux-mêmes les geôliers firent débarquer une cinquantaine des gendarmes de la Mobile pour nous matraquer. Le battage dura pendant des heures. Résultats : nous étions esquintés entassés les uns sur les autres comme des cadavres, le corps couvert de sang et de sueur; les visages entièrement bouffis. J'en porte personnellement des marques et surtout les conséquences de temps à autre se traduisent par des douleurs périodiques en particulier des céphalées.

En Mars 1984, je m'évadai avec l'ensemble de mon groupe de la prison de PORTO-NOVO avant que n'intervînt la mesure de grâce d'Août 1984. Je repris mes enseignements à l'Université quand le mouvement de Mai 1985 eut lieu. Dès le 19 Juin 1985, Vincent GUEZODJE devenu Ministre de l'Enseignement Moyen Général et Supérieur prit un arrêté me suspendant de l'Université comme enseignant. Cette mesure fut aussitôt suivie d'une poursuite policière en vue d'arrestation. Je fus contraint de passer à la clandestinité jusqu'à la mesure d'amnistie d'Août 1989.

Pendant toute cette période de dix ans environs (de 79 à 89), je vécus presque sans salaires; ma famille fut l'objet de tracasseries policières, les descentes de militaires étaient pratiquement annuelles pour arrestation et perquisition. Mes frères et même mes enfants sont souvent inquiétés et détenus. Le dernier cas, ce fut le 17 Décembre 1989 où un jeune frère et ma fille ont été arrêtés et détenus le premier au célèbre Camp PLM, la 2ème au Commissariat Central d'où ils ne furent relâchés qu'avec la protestation de leurs collègues élèves.

Persécutions permanentes, mesures arbitraires ont eu comme conséquences une vie affective brisée, une évolution professionnelle impossible et d'autres conséquences morales et sociales qu'il serait trop long de décrire ici.

Telles sont les affres endurées sous le régime autocratique. Tel est le prix payé pour la liberté et la dignité de l'homme.


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SOSSOU A. Alphonse

Profession : Etudiant.

DE MON ARRESTATION

Pour lutter contre le décret du 5 Août 1986 relatif aux conditions d'attribution des bourses et secours universitaires, et obtenir son abrogation, les étudiants de 1'UNB initièrent des actions pacifiques avec l'envoi au gouvernement des pétitions demandant l'abrogation de ce fameux décret.

Tout de suite, ils se rendirent à l'évidence de la nécessité de mieux s'organiser pour soutenir leurs actions. C'est alors que des comités d'action par Amphi commencèrent à se former.

Laisser les étudiants s'organiser de façon autonome était perçu par le pouvoir comme un danger à vite circonscrire et éteindre. Par l'intermédiaire de Monsieur DOSSOU Robert, Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Politiques, des complots furent mis en chantier pour dévoyer le sens de la lutte des étudiants en cours. Une Conférence fut initiée et conduite par DOSSOU Robert en collaboration avec Monsieur GUEZODJE Vincent alors Ministre de l'Enseignement Supérieur et des individus tristement célèbres du genre GBANKOTO Adam, KOUGNANZONDE Christophe devaient noyauter les étudiants à travers le comité de suivi qu'elle a accouché. Mais cela n'aura pas duré longtemps.

Les illusions nées de la Conférence commencèrent par tomber avec des pratiques du Comité de suivi en flagrante contradiction avec les promesses mielleuses et les verbiages "démocratistes" nécessaires pour endormir les étudiants.

Les illusions ainsi tombées les actions d'organisation autonomes reprirent avec intensité. J'étais l'un de ceux qui avaient choisi d'être au premier poste de combat.

Ainsi le 12 Janvier 1987, nous déclenchions une première grève de protestations contre ce décret. Après cette action une chasse policière fut donnée aux dirigeants du mouvement me contraignant à quelques semaines de clandestinité.

Et en Mars 1987, la tension sur le campus était arrivée à son paroxysme. Le soulèvement des étudiants était devenu incontournable.

Le pouvoir pensait l'empêcher par l'arrestation des dirigeants du mouvement du 12 Janvier. Mais toutes leurs tentatives dans ce sens échouèrent. C'est alors qu'en collaboration avec les flics, les autorités de l'Université notamment celle de la FASJEP, DOSSOU Robert en tête, décidèrent ensemble le calendrier d'examens partiels hâtés afin de pouvoir nous arrêter.

Informés des détails de ce plan échafaudé pour nous arrêter, mes autres amis recherchés et moi avions retenu que j'aille à l'examen et organiser la résistance pour décourager de telles aventures policières contre les étudiants ou, à défaut de vaincre, la bataille aura empêché que mon arrestation se fasse à l'insu des étudiants.

Le Lundi 10 Mars 1987, comme tout autre étudiant de mon Amphi, J'étais allé à l'examen partiel.

L'épreuve de Macro-économie devait durer 2 heures de temps. Mais après environ 1 heure de composition, la secrétaire de la section Science Juridique vint m'informer à voix basse : "Le doyen a besoin de vous dans son bureau ".

Comprenant par là que DOSSOU Robert a accueilli les flics dans son bureau et m'appelait pour me faire arrêter clandestinement, j'ai répliqué à la dame : "Dis à DOSSOU Robert et ses flics que je suis au courant de son plan et s'il ne veut pas voir couler le sang sur le campus, il faudra qu'il renvoie simplement ses sbires du Campus".

La dame était allée certainement faire la commission et environ 5 minutes après cet entretien, le secrétaire principal de la FASJEP, Monsieur DOMINGO Basile et le Vice Doyen de la Faculté Monsieur ASSOGBA Innocent vinrent dans la salle avec les flics derrière. Je suis descendu devant les étudiants pour leur dire : "Chers amis, je suis actuellement dans un encerclement policier. Je n'ai pas volé, je n'ai commis aucun crime, c'est en défendant la cause commune que les flics se sont jetés à mes trousses et veulent m'enlever. Je n'ai aucune force sans vous. Défendez-moi". Comme un seul homme et massivement les étudiants se levèrent pour engager la bagarre avec les flics.

ASSOGBA Innocent et ses hommes redoublèrent d'ardeur. ASSOGBA est allé jusqu'à fermer de ses mains un des battants de la porte de l'Amphi pour nous coincer. Au cours de la bagarre les étudiants ont réussi à blesser deux flics. Mais ils ne purent réussir à empêcher mon arrestation puisque les flics avaient sorti des armes et avaient voulu en faire usage. Je fus arrêté, menotté sur le champ et jeté dans la voiture des flics qui démarra en prenant la direction de la brigade de Calavi. Mais ce qui a réussi, c'est que contrairement aux voeux de DOSSOU Robert, la "démocratie" de ASSOGBA Innocent et autre, mon arrestation ne s'est pas passée dans l'indifférence de mes camarades.

Et le lendemain, ce qu'ils avaient voulu empêcher s'est produit avec même plus d'intensité. Au cri de "trop c'est trop" les étudiants étaient descendus dans les rues.

A la brigade de Calavi, le 10 Mars 1987, c'est-à-dire quelques temps après cet enlèvement rocambolesque, j'ai été jeté dans une cellule très puante, les menottes toujours aux pieds et aux mains.

Autour de 18 heures, deux gendarmes vinrent me chercher pour me conduire dans une salle appelée salle de baptême et le chef Brigade donna l'ordre "baptisez-le". Les gendarmes me prirent et me dressèrent. Les coups ont commencèrent par pleuvoir sur mes fesses. Ils m'ont tapé jusqu'au point où le lendemain mon pénis était enflé et j'avais des difficultés pour uriner. Pendant plus d'une semaine, avant d'uriner, je criais malgré moi tant je sentais de douleur.

Pourtant je n'aurai droit à aucun soin. De la brigade de Calavi je fus transféré à la Brigade du port. Les conditions de détention étaient identiques. Sauf que je n'ai reçu aucun coup de cette brigade.

Mais l'épreuve dure qui a rendu un de mes poignets moins sensible consistait dans la façon dont je fus menotté.

Cette fois-ci on m'a menotté par derrière et je ne pouvais plus utiliser ma main pour manger.

Quand mon petit frère se débrouillait pour m'amener à manger, les codétenus me mettent le repas à la bouche ou alors je leur demandais de le verser sur des feuilles d'Akassa et comme un animal je prenais les repas directement avec la bouche. Les dents des menottes ont commencé par s'enfoncer dans ma chair quand les gendarmes en service à la brigade du port ont protesté pour exiger avec moi qu'on enlève les menottes. Ces bruits ont contraint les sbires de Kérékou à desserrer un peu les vis et ramener mes bras devant.

C'est après cette situation qu'une première commission d'enquête me passera aux interrogatoires. Aux interrogatoires ce qu'ils croyaient obtenir de moi est comme ce qu'ils exigent de presque tous les détenus : dénonciation de nos camarades, révélation des cachettes de ceux qui étaient en clandestinité, notre rôle dans les organisations etc... Comme naturellement, étant conscient et fier de mon choix, je ne pouvais aller à de telles bassesses, je m'étais attiré la foudre de cette commission qui m'a torturé pendant environ une semaine avant de me livrer aux hommes du Petit Palais avec la mention : "c'est un inconscient qui veut faire bêtement le héros, prenez le au sérieux".

Ceux-ci après environ deux jours d'interrogatoire m'ont expédié sur Parakou. Mon arrivée à Parakou a coïncidé avec la tenue du Congrès du PRPB. Messieurs AIexis BABALAO, Clément ZINZINDOHOUE, le commissaire YABARA, le capitaine HOUINSOU Patrice et autres criminels à la solde de ce pouvoir étaient au Congrès. Les interrogatoires étaient suspendus.

Avant leur retour, j'ai organisé et réussi une évasion le Mercredi 13 Mai à 19 heures 30, 64 jours après mon arrestation. Ayant passé quelques temps à l'extérieur, j'étais revenu au pays en Juillet 1987 où j'ai vécu en clandestinité plus de 10 mois. Ayant échappé à un coup de filet de la police, j'ai dû me réfugier à Lagos. J'ai participé à la constitution d'un regroupement des réfugiés béninois à Lagos en comité de défense des Droits de l'Homme qui avait mission de faire connaître à l'opinion publique internationale les violations des Droits de l'Homme au Bénin et les luttes de notre peuple pour arrêter la main des assassins.

Lagos, le 09 Avril 1990.


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LOCCO Toussaint dit Roka

Né : le 1er Novembre 1935 à Cotonou

Profession : Photographe

Sous prétexte que je connais où résidait Rémi AKPOKPO en clandestinité, je fus appréhendé le 08 Décembre 1987 et conduit à la compagnie de brigade du Zou (Abomey). J'y suis gardé pendant 3 jours et transféré à la gendarmerie d'Agbangnizoun. C'est là que j'ai été sujet à des atrocités les plus périlleuses de la part de la police. Ainsi le 23 Décembre 1987, j'ai reçu la visite de KESSO Sébastien 2ème adjoint capitaine de la compagnie qui me soumit à l'interrogatoire avec une animosité sans précédent. Il me ménagea des coups de tout genre (parmatoire, cravache et matraque) et je perdis totalement connaissance et m'évanouit. Ce n'est que le 26 Décembre que je me retrouvai réveillé, allongé dans un lit de malade au Centre hospitalier d'Abomey après quatre jours de coma, tout le corps en blessures, la hanche esquintée et l'avant-bras gauche fracassé. Quelques jours après je fus conduit plâtré au commissariat central de Cotonou, au Petit Palais où je passai quelques jours puis à Parakou où j'ai recouvré ma liberté après plusieurs mois de souffrance. Il faut noter que les dommages et autres causés sur ma personne ont été supportés à mes propres frais. Rendu invalide et devant les différentes pertes enregistrées à cause de la longue détention, je n'ai encore pu reprendre jusqu'à présent mes activités. Aujourd'hui encore je continue de traîner les séquelles de cette dure épreuve qui continuent de me marquer pour toujours ici. Voici en bref ce que je peux porter en votre connaissance.

N.B :

- Commanditaires et exécutant : le capitaine KESSO Sébastien m'a mis à nu, en me ménageant des coups de tout genre (parmatoire, cravache et matraque) de 11 heures du matin à 17 heures du soir devant deux de mes enfants qui m'ont apporté à manger. Par ailleurs il a promis de m'exterminer devant eux et de faire leurs adieux en les menaçant de les corriger aussi.

- Plusieurs objets personnels disparus au cours de la perquisition et non retrouvés jusque-là.

- J'ai été transporté à l'hôpital d'Abomey par le Commandant de brigade d'Agbangnizoun.

- Soins au détenu : aucun. Tous les frais sont à la charge du détenu. Frais de nourriture, de voyage (Parakou-Abomey), de radiologie etc..., supporté à mes propres moyens.

- Il me faut résoudre les pertes que j'ai accumulées lors de ma détention.

- Ci-joint le coût des ordonnances médicales et celui des examens radiographiques (bras et poumon) ; coûts ordonnances médicales : 49.787 F ; 3 films radiographiques (avant-bras) : 7.200 F ; 2 films radiographiques (poumon) : 8.000 F. Frais d'hospitalisation : 75.100 F. Frais de consommation y compris les enfants et moi-même : 200.000 F.

TOTAL des frais occasionnés : 340.000 F. Estimation globale de l'indemnisation à laquelle vous avez droit : 5.000.000 (cinq millions).


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SOSSOU Sègninou Janvier

Age : 25 ans ;

Profession : Elève à Gbégamey (Cotonou) ;

Motif de la 1ère détention : Hébergement de personnes recherchées ;

Motif de la 2ème détention : Affaire de tracts.

C'était le Mardi 07 Avril 1987 vers 2 heures du matin, une horde de flics ayant à sa tête les Capitaines Fousséni GOMINA alors Directeur du S.D.I. (Service de Documentation et d'lnformation de la Présidence de la République, Chef de la police politique, Vice Président de la CNPESE (Commission Nationale Permanente d'Enquête et de Sécurité d'Etat), et Alexis BABALAO rapporteur de ladite commission, cette horde faisait irruption dans ma chambre après avoir défoncé la porte du salon. Leurs armes au point ils criaient : "Si vous bougez je tire, si quelqu'un bouge je tire".

Ils avaient réussi à pénétrer dans la chambre où j'étais couché avec une jeune soeur de 12 ans.

J'étais aussitôt soumis à un dur interrogatoire et à la torture physique.

Après quelques minutes, je serai enlevé pour le Petit Palais. C'était un véritable enlèvement car ils n'ont pas pris la peine de dire ni à la petite qui était avec moi ni à mes cohabitants ce que j'ai fait et où ils m'amenaient. Ces derniers ont été intimidés et menacés d'arrestation quand ils cherchaient à savoir qui ils étaient et les raisons pour lesquelles ils m'arrêtaient.

La Lune disparaissait ce petit matin d'Avril 1987 quand je prenais le départ de ma maison au milieu d'une dizaine d'agents (les militaires) BABALAO me disait que je disparaîtrais au même moment que la lutte si je ne conduisais pas à arrêter tous les camarades qui me rendaient visite. J'étais amené dans le local du Petit Palais dans le bureau de GOMINA où tous les 5 avec qui j'étais rentré s'étaient jetés sur moi. Au nombre de ceux-là il y avait BABALAO, l'agent de 1ère classe DAMAKI Jean, le Sergent FAMONMI Codjo, un autre Lieutenant dont je ne connais pas le nom. GOMINA a pris son téléphone et a rendu compte de sa mission à qui ? Je ne sais. Mais il disait qu'ils viennent d'arriver et qu'ils n'ont trouvé qu'une seule personne. Il donna mon nom et prénoms et précisa que je suis à l'interrogatoire devant lui. Il donna l'ordre à ses chiens de me taper plus fort pour que son interlocuteur entende mon cri.

Après ce préliminaire il ordonna à deux de ses fidèles chiens de m'amener au robinet, de rester avec moi jusqu'au moment où je voudrai leur dire la vérité. Il demandait de ne me ramener que quand je serais prêt à "tout dire".

J'étais conduit au robinet par FAMONMI Codjo et DAMAKI Jean où j'ai été arrosé. Ils étaient armés tous de lanières chacun. Ils avaient poursuivi le rodéo et avec tout le zèle. C'est vers 6 heures du matin que BABALAO viendra leur demander de cesser. Il aura à constater que j'ai été trop tapé, qu'ils m'ont "déchiré tout le corps". Il faut préciser que tout le temps que j'ai fait avec FAMONMI et DAMAKI, ils n'ont pas pris une seule minute de repos. Ils me faisaient rouler sur des cailloux et me fouettaient avec la lanière tout ceci accompagné des coups de pieds. Mon pantalon (dont j'ai encore les lambeaux) et ma chemise n'étaient plus que des chiffons, tout mon corps était à sang, et à des moments donnés, je sentais à peine les coups qu'ils donnaient pourtant avec toute leurs forces. Ils avaient la sueur jusqu'aux cheveux. C'est après que l'un d'eux (DAMAKI) me dira que s'ils m'ont tapé sans interruption c'est parce que leurs chefs ont l'habitude de les suivre depuis leur bureau.

Après tout cela vers 6 heures 15 GOMINA viendra et avec BABALAO et ils me diront que c'est moi qui me suis fait maltraiter et qu'ils m'enverront chez ZINZINDOHOUE Clément. Avec lui je dirai tout ont-ils conclu. GOMINA ordonna qu'on m'enferme. J'ai été enfermé dans une cellule remplie d'épaves de mobylettes AV 85 où les moustiques à longueur de journée ne cessaient de fredonner. J'ai passé dans ce lieu sinistré trois mois sans visite. Conscient de l'arbitraire qui règne dans mon pays j'ai préparé avec deux de mes amis de geôle une évasion. Nous avions réussi à nous évader du Petit Palais le 28 Juin 1987. Je m'étais évadé avec ANATO Gustave et N'DA SIRA.

Après mon évasion j'étais contraint à la clandestinité. Je serai arrêté pour la seconde fois le 11 Décembre 1987 avec deux de mes amis. C'est le début d'un nouvel épisode. Cette fois c'est à BOHICON avec le commissaire SOHOU et le capitaine Antoine DJOGBEDE et Appolinaire AKPO au commissariat central de BOHICON du 11 au 17 Décembre 1987.

Avec le commissaire SOHOU, j'étais menotté par derrière et mes deux pieds étaient dans les entraves. Tous les jours il m'amenait à l'interrogatoire parfois je subissait l'interrogatoire deux fois et à chaque interrogatoire il me soumettait au rodéo. Ce traitement dégradant et inhumain connaîtra son point culminant le samedi 12 Décembre 1987 avec 1'arrivée de OGOUTCHOLA. Ce jour-là j'ai été torturé de 10 heures du matin à 17 heures sans interruption avec OGOUTCHOLA, SOHOU et le CD de BOHICON. Ce dernier faisait la torture morale ; il disait : "tu mourras pour rien, il vaut mieux dire la vérité, il faut faire arrêter tes amis on te libérera" etc... Monsieur OGOUTCHOLA était armé d'une lanière et d'un gros bâton, le commissaire d'une lanière. Chacun d'eux à sa préférence. Pour OGOUTCHOLA c'est le bâton car il estime que le bâton : "casse l'individu sans laisser des traces, on garde de séquelles pendant des mois; c'est l'individu seul qui sait réellement ce qu'il ressent" c'est à peu près ce qu'il disait. Il a dit que c'est un officier qui lui a donné cette "recette" quand il était en formation. Une formule qu'il chante souvent :"Tu as choisi, j'ai choisi, c'est moi qui ai le pouvoir aujourd'hui, je vais te traiter comme je veux, je te tuerai si tu ne dénonces pas, demain si tes amis prennent le pouvoir ils peuvent m'envoyer dans le dernier village du Bénin". Il tape sur tout le corps, les mains dans les menottes les pieds dans les entraves tout mon corps était sans défense, il tapait à volonté la partie qui lui plaisait. Il a du plaisir à taper de façon rythmique la tête et pendant des minutes.

Il arrive des moments où c'est seulement le bruit du coup que j'entends; je ne sentais pratiquement plus le coup. Il a un fou plaisir aussi à taper les articulations (genou, coudes), la poitrine, le front, le menton, les mollets, tout le corps. Il lui arrive de fermer les yeux et de taper pendant des minutes puisqu'il sait que tu es immobilisé et qu'il a ses collaborateurs SOHOU et le CD.

N'ayant pas réussi à m'arracher des aveux ils m'ont torturé pendant 7 heures (10 heures à 17 heures) sans interruption. Je n'avais pas mangé depuis la veille. Ils juraient, SOHOU et OGOUTCHOLA, m'arracher des aveux par la "diète noire", je ne mangerais pas tant que je n'aurais pas dénoncer. J'ai été enfermé dans le violon tout fatigué. Je demandais du manger. A un moment donné je n'en pouvais plus, j'étais debout puis j'ai perdu l'équilibre et par deux fois au moins j'ai cogné ma tête contre la porte métallique qui fermait le violon. OGOUTCHOLA et son ami se disaient que je le faisais consciemment. Une seconde fois la chose s'est reproduite et OGOUTCHOLA de dire : "il meurt...". Il faut dire que quand ma tête se cogne à la porte et au mur je me retrouve. Ils m'ont fait sortir et c'est en ce moment qu'ils m'ont acheté de l'Akassa et du piment. Ils on constaté que je n'arrivais plus à faire aucun mouvement de moi-même. J'ai de grande difficulté à amener la main à la bouche même sans les menottes. Tout le corps me faisait mal. J'ai réussi à prendre quelques bouchées d'Akassa. J'avais beaucoup soif; ces assassins m 'ont privé d'eau pour quelques minutes. Ils ont demandé qu'on me laisse prendre un peu d'air, puisqu'il "n'a dénoncé personne, et il faut qu'il dénonce avant de mourir" dira OGOUTCHOLA.

C'était le jour du marché de BOHICON ce 12 Décembre et c'est dans cet état qu'il prendra ma vue en face du commissariat central qui est au cœur du marché. J'étais simplement un spectacle.

Sachant l'état dans lequel ils m'ont mis ils ont laissé avec moi un détenu de droit commun qui m'aidait dans le violon à mouvoir. Il me change de position de temps en temps. Je n'arrivais pas à faire plus de 5 minutes sur un côté tellement le corps me faisait mal.

Ces gens ont poussé leur sadisme loin. Ils ont demandé qu'on arrête mon vieux. C'est la brigade de Glazoué qu'ils ont envoyé arrêter le vieux de près de 70 ans, dans sa ferme. Il a fait 48 heures à la brigade de Glazoué et 72 heures au commissariat central d'Abomey avec AHOUISSOU Christophe, une autre victime de l'autocratie. Au commissariat de BOHICON on me présentera à mon vieux pour lui demander s'il me connaissait. Il avait été déshabillé et on menaçait de le "roder". SOSSOU Magnon, c'est son nom, reconnut que j'étais son enfant. J'ai été déplacé de BOHICON le 17 Décembre 1989 pour le commissariat central où je passerai plus de 10 jours avec mes compagnons de misère sans prendre un bain. C'étaient les consignes que les geôliers avaient reçues. Après tous ces traitements je n'étais pas autorisé à suivre les soins. C'est le 29 Décembre 1989 que Alexis BABALAO viendra avec un commissaire nous chercher pour PARAKOU.

A PARAKOU, j'ai été "rodé" par 7 militaires sous la direction de BABALAO, AGONKAN (capitaine chef du poste de commandement du camp de PARAKOU), c'est lui qui a formé l'équipe de rodéo. Il connaissait son camp et connaissait ses hommes, ceux qui font bien le "rodéo" disent les soldats. Le lieutenant colonel ZINZINDOHOUE Clément commandant en chef de la zone nord, président de la CNPESE disait à l'équipe devant moi qu'ils pouvaient me tuer si je ne n'étais pas prêt à dire la vérité. Il a ajouté qu'il a le droit de faire tuer dix pour cent (10%) des détenus politiques.

J'ai été plongé par les chiens de ZINZINDOHOUE (son sobriquet) dans une citerne d'eau puante où tous me chicotaient dans l'eau. Ils étaient aux abords de la citerne. Ils m'ont demandé de sortir. A ma sortie de la citerne, j'ai été assommé par les 7, je me suis écroulé par terre. Après quelques minutes ils me demandaient de rouler par terre, tantôt ils me mettaient à genou, tantôt ils me faisaient coucher sur le dos ou sur le ventre et m'assommaient. Tantôt ils me demandaient de courir et BABALAO courrait aussi derrière nous. Tout ceci se passait le 06 Janvier 1988 à PARAKOU.

Le 08 janvier 1988 ou me retournera à COTONOU pour "nécessité d'enquêté". J'ai été confié au capitaine HOUNSOU qui m'a fait enfermer au poste 200 au camp Guézo après m'avoir tapé dans bureau. Il ne me nourrissait pas alors que personne ne savait où j'étais sauf la police. J'étais gardé au secret.

Le 27 Janvier 1988 on me retournera à PARAKOU d'où je prendrai le départ pour SEGBANA le 07 mars 1988 pour ne quitter que le 1er Septembre 1989. Un détail : en plein vol quand on allait à PARAKOU, BABALAO a menacé de me jeter de l'avion si je ne dénonçais pas mes camarades. Là j'étais sûr que je ne partirais pas seul puisqu'il n'avait pas ses chiens à ses c6tés ce jour-là. S'il avait tenté de me jeter on partait ensemble.

Je n'ai pas décrit les conditions de détention (les lieux, car tous ces lieux ont certaines choses de commun) de façon particulière.

Mes différents lieux de détention

Petit Palais : Petite cellule, chaleur excessive, sous alimenté ;

Commissariat de BOHICON : Violon très sale, chaleur excessive, j'ai été mal nourri.

Commissariat central de COTONOU : Violon très sale, Violon III où nous sommes gardés à plus de 40, chaleur excessive, nous étions laissés à nous-mêmes alors que mes parents ne savaient pas où nous étions.

Poste 200 au camp Guézo : Cellule sale, chaleur excessive, j'étais mal nourri. J'ai été pris en compte par un détenu de droit commun le vieux GBENOU.

Poste de Police à PARAKOU: Poste central à PARAKOU, Même condition que dans les autres centres. A tous ces lieux j'ai été privé de visite de mes parents et amis.


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SOSSOUKPE Cocouvi Paul

Demeurant à : Cotonou ;

Profession : Employé des Services Administratifs de l'UNB ;

Date d'arrestation : 11 Octobre 1985 ;

Date de libération : 02 Septembre 1989 ;

Centres de détention : Camp Guézo ; Camp Séro Kpéra ; Prison Civile de Ségbana.

Mon calvaire devait commencer le Vendredi 11 Octobre 1985 au soir, quand vers 21 heures 30, quatre individus en tenue civile discrètement armés de pistolets, firent irruption dans ma chambre à coucher. Ils se mirent immédiatement à fouiller toutes mes chambres, me demandèrent où j'avais déposé mes armes. etc...

Après avoir passé au peigne fin tous mes effets, ils m'embarquèrent dans une voiture RENAULT 4 et à quelques mètres de chez moi, ils retrouvèrent un autre flic en tenue civile, le nommé Moumouni ZANKARO à qui ils me confièrent. Celui-ci me conduisit au commissariat central où il me fit enfermer au violon 1. Les détenus de droit commun qui se trouvaient dans cette cellule exiguë et surchauffée en nombre important, se ruèrent sur moi et me rouèrent de coups sans savoir pourquoi j'avais été arrêté. Je restai à jeun jusqu'au dimanche 13 Octobre 1985.

Ce jour-là, vers 11 heures, l'un de ceux qui étaient venus m'arrêter à mon domicile vint me chercher pour me conduire au Camp Guézo où je fus déposé au poste 300.

Le 23 Octobre 1985, dans la matinée, je fus conduit au Petit Palais où je subis un interrogatoire (le premier) depuis mon arrestation. Face à mon refus de donner quelques renseignements sur mon appartenance au P.C.D. ceux qui y militent avec moi, leurs activités et autres, ZANKARO MOUMOUNI promit me faire parler le lendemain 24 Octobre. Il me dit qu'il me fera voir de toutes les couleurs si je m'obstine toujours à ne rien dire sur le P.C.D.

Le 24 Octobre vers 14 heures, des flics vinrent me chercher du poste 300 pour un interrogatoire dans l'enceinte du Camp Guézo, interrogatoire dirigé par ZANKARO, TAWES et un autre flic que je ne connais pas de nom. Un groupe de militaires armés de fouets, de bâtons, et de câbles électriques me firent courir sous une volée de coups jusque sous des robinets qu'ils ouvrirent et je fus trempé pendant au moins un quart d'heure. Après cela, ils allèrent me plonger dans des eaux excrémentielles, m'obligèrent à faire des roulades sur un sol tout chaud. Ensuite je fus déshabillé et laissé en slip. Les coups de chicotes, de bâtons, de câbles électriques, depuis le début de cet interrogatoire n'ont pas cessé. On me chargea sur la tête une brique de 20 et me força à marcher à genoux sur des cailloux acérés. On me fesse pendant au moins une demie heure. Après toutes ces brutalités inhumaines qui n'ont pas réussi à me faire parler, ZANKARO promit de me "griller" les fesses comme il l'a fait déjà à un prédécesseur (GNIMAGNON Louis) ou de me faire fusiller.

Cet interrogatoire s'acheva vers 18 heures. La loque humaine que j'étais devenu fut conduite dans ma cellule au poste 300. J'étais à demi mort. Les douleurs étaient très vives. Toute la nuit j'ai vomi.

C'est dans cet état déplorable que je fus embarqué en compagnie d'autres personnes arrêtées comme moi, le 25 Octobre 1985 vers 10 heures. Le voyage fut très pénible. Je n'avais pas cessé de dégueuler depuis lors et mon organisme s'affaiblissait très sensiblement. Des notes prises par un codétenu qui fit le voyage avec moi, il est dit : "état de santé de Paul inquiétant dû aux tortures de la police (TAWES-ZANKARO)".

Sur insistance de mes camarades de misère, le chef de convoi, le lieutenant MISSODE qui, depuis le début, refusait de s'arrêter pour que je reçoive des soins médicaux dans un dispensaire, finit par faire escale à la C.M. de BOHICON. On me fit quelques injections et je reçus des comprimés. Cela n'a pas calmé ni mes vomissements, ni mon affaiblissement.

Des notes du camarade précité, on peut lire : "Paul continue de vomir. Ces vomissements sont provoqués par les coups qui lui furent donnés avec de gros bâtons sur les côtes, le foie surtout. Nous lui administrons du jus de citron. Il a vomi". Malgré mon état de santé qui s'empirait, le lieutenant ne cessait de dire : "Dans les consignes de ma mission, il ne m'a pas été dit de soigner quelqu'un en cours de route. Si le malade (Paul) crève, nous le jetterons dans la brousse et poursuivrons notre voyage".

Nous arrivâmes à SAVE. Le camion fut bloqué par une panne de moteur. Le lieutenant MISSODE refuse toujours de me faire hospitalisé. Mes camarades insistent, l'un d'eux note ceci : "Accentuation des malaises de Paul. Rapide préparation (pour lui) de café au lait et un peu de pain qu'il prit. Au désappointement de nous tous, il rendit tout instantanément. Son affaiblissement continue. Le Médecin de la C.M. de SAVE arriva et proposa de mettre le malade sous perfusion". Je fus conduit à la C.M. et mit sous perfusion avec pour garde un militaire armé de Kalachnikov.

A trois heures du matin, un camion militaire arriva de PARAKOU nous chercher. A son bord se trouvait le lieutenant BABALAO. Quand il arriva à la C.M. me chercher, BABALAO me lança au visage : "Debout ! Nous partons. Mais lèves-toi gaillardement comme un communiste. Nous, nous sommes des démocrates".

Le 26 Octobre 1985 à 6 heures 10 du matin, nous arrivâmes à PARAKOU. Nous fûmes conduits sous bonne escorte dans un poste du Camp militaire SERO KPERA. On nous confia à des gardes (para commandos) de BEMBEREKE. Ceux-ci étaient sous tension et regrettèrent que nous soyons arrivés au petit matin. Si c'était en plein jour qu'ils devaient nous recevoir, ils nous "roderaient". On nous disposa de façon à ce que personne d'entre nous ne puisse bavarder avec son compagnon de misère.

Après un court sommeil, nous fûmes contraints de balayer à 7 heures la devanture de notre cellule. Il n'y avait pas de balai. On racla le sol avec la main. Après cela on nous fit faire un sarclage jusqu'à 11 heures. Malgré ma fatigue extrême, les militaires m'obligèrent à participer à toutes ces corvées.

Le Dimanche 27 Octobre 1985 au matin, on me conduisit à l'infirmerie de la garnison de PARAKOU pour y recevoir des soins. Un des infirmiers qui y étaient en poste du nom de SOSSAMINOU m'accueillit avec colère et menaces, il me dit en substance : toi, tu es du Mono comme moi. J'ai bien envie de t'injecter de l'urine. Toi, fils de pauvre paysan, tu cherches à renverser le gouvernement de KEREKOU. De toute façon, le jour où on t'interrogera, si jamais tu ne dis pas vite la vérité, c'est moi-même qui viendrai te tuer. Et je me présenterai à DOGBO pour informer les tiens que c'est moi qui t'ai tué".

Le Lundi 28 Octobre 1985, toute la journée nous avons subi des interrogatoires. Le soir vers 20 heures les tortures avaient repris. Ce jour-là malgré mon état critique et les blessures que j'avais sur tout le corps, une équipe de torture dirigée par BABALAO et GOMINA Fousséni me firent faire des roulades, marche à genoux sur des cailloux tranchants. Je fus bastonné, fouetté pendant longtemps. A cette équipe de torture participait SOSSAMINOU. Comme il me l'avait promis la veille, il m'administrait des coups de concert avec le para commando GBAGUIDI qui était chauffeur au Camp de BIMBEREKE. Je fus battu jusqu'à m'évanouir.

Après cela je fus conduit dans ma cellule ; Toute la nuit le Chef de poste (un para commando) venait voir si je ne suis pas mort. Car, dira-t-il : "il ne faut pas que les gens t'esquintent et que tu viennes crever entre mes mains".

Les menaces de toute sorte : électrocution, tampon d'acide sur les parties génitales, exécution, arrachage des dents avec des pinces, etc.. nous furent proférées jusqu'au 06 Novembre 1985.

Le 06 Novembre 1985 au soir, on vint nous appeler pour un éventuel voyage dont la destination était gardée secrète.

Après une cérémonie de déploiement d'armes et de force et un speech prononcé par le tortionnaire GOMINA Fousséni, nous fûmes embarqués dans un camion militaire accompagné d'autres véhicules remplis de flics armés jusqu'aux dents. Partis de PARAKOU vers 17 heures 30 et sous le froid mordant de l'harmattan du nord Bénin, nous arrivâmes à SEGBANA vers 1 heure du matin. Des flics nous accueillirent et nous fûmes enfermés à vingt quatre que nous étions dans une cellule très noire. La nuit fut pénible. La faim nous tenaillait.


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TAKOUN Roger

Agent du service social.

Responsable du Centre social de Partago-Djougou Rural.

1ère Arrestation (1979).

En 1979, je fus pris par la Brigade de Natitingou après l'arrestation de Offiki Hébert, un étudiant en mission. Je subis simplement les intimidations verbales mais je passai 2 semaines entières à la gendarmerie. C'était alors le début d'un parcours.

2ème Arrestation ( juillet 81-septembre 82).

Celle-ci dura 14 mois et paraît la plus dure des arrestations que j'ai connues. Considéré comme le chef des file des "subversifs", mon interrogatoire fut le plus rude. Pendant 21 jours, j'étais au violon et subissais 3 interrogatoires par jour: vers 9 heures, vers 13 heures et vers 23 heures. Je subissais également toutes les tortures morales.

Pendant le reste du temps que nous avons passé au commissariat central de Cotonou, le mois de novembre 1981 fut un calvaire pour moi. 2 fois par semaine, je subissais un interrogatoire sous les coups de fouets, de chicotes, des parmatoires, des pieds de rangers, des ceinturons, des coups de poing et des gifles. La vie y était dure car nous n'étions pas nourris. Mes tortionnaires étaient: Maman Yacoubou, Tawès Pascal, Orou Samson, Agossa Christophe.

3ème Arrestation ( février 86-septembre 86 ).

Après une torture morale pendant 3 mois au petit palais et au camp Séro-Kpéra de Parakou, je poursuivis ma détention à Ségbana pendant 4 mois. On était mal nourri ( le sel et le piment étaient les meilleurs constituants des repas) et mal traité ( le malade doit subvenir à ses besoins ). Mes tortionnaires furent Mpo Théophile, Gomina Fousséni, Tawès Pascal, Zinzindohoué Clément, Babalao Alexis, Mounirou, Orou Samson, Agonkan Alphonse.

4ème Arrestation ( Octobre 87-Avril 89 ).

C'est la plus longue de mes détentions et la plus compliquée. Elle dura 19 mois dont 15 jours à la gendarmerie de Natitingou et le reste au camp Séro-Kpéra.

Pour mes 4 premiers jours à la Brigade territoriale de Natitingou, c'était la diète noire. Enfermé au violon, je n'ai pas eu droit à un seul besoin pendant 4 jours. C'est après 4 jours qu'on ouvrit la porte pour voir si j'étais vivant. Par la suite, je ne subissais que la torture morale. Il faut ajouter qu'à Natitingou, à la brigade de recherche, je vécu dans le violon où sont élevées des punaises et où on ne peut jamais fermer l'oeil. Durant les 19 mois de ma détention au camp militaire de Parakou, je n'ai jamais eu droit aux visites: tous mes visiteurs étaient refoulés au portail. Le moment le plus dur, c'est quand, de retour, j'ai trouvé ma chambre vide; les voleurs avaient tout volé car Dari et Biaou avaient empêché mes parents de prendre mes effets de la chambre que je louais. Mes tortionnaires étaient : Dari Bernardin, Biaou Adolphe, Zinzindohoué Clément, Babalao Alexis, Agonkan Alexis, Tawès Pascal.

Evaluation d'un dédommagement probable.

Pour tous mes effets raflés: 500.000 CFA.

Pour mes détentions et leurs conséquences: 1000.000 CFA, soit au total plus de 1.500.000 CFA. SUGGESTIONS.

Je souhaiterais qu'on inflige un châtiment exemplaire au moins aux tortionnaires les plus zélés comme : Tawès Pascal, Zinzindohoué Clément, Babalao Alexis, Agonkan Alphonse, Dari Bernardin, Biaou Adolphe, Gomina Fousséni, Agossou Christophe, Maman Yacoubou, Houssou Patrice.

Je souhaiterais surtout une création de la ligue des droits de l'homme pour la sécurité des libertés.


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TIOMOKO DJAFAROU

Né en 1956 à Natitingou

Ingénieur des Eaux et Forêts.

Arrestation: 31 octobre 1985.

Libération: 3 septembre 1989.

Centres de détention :

petit palais,

camp Ghézo,

camp Séro-Kpéra de Parakou,

prison civile de Ségbana.

Arrêté le 31 octobre 1985 à 10 heures à Ouidah par le commandant Clément Zinzindohoué, le capitaine Fousséni Goma, le lieutenant Alexis Babalao et les agents du petit palais.

Gardé au petit palais de 11 heures à 17 heures, privé de nourriture et d'eau...

Ramené dans la même soirée aux environs de 18 heures au camp Ghézo et jeté dans la cellule de poste 200 avec la consigne particulière " sans contact".

Réveillé dans la nuit du 2 au 3 novembre 1985 aux environs de 23 heures et conduit à l'Etat Major 2ème bureau pour interrogatoire. Séance dirigée par le capitaine Gomina, vice-Président de la commission spéciale d'enquêtes. Il était entouré du capitaine Patrice Hounsou, des lieutenants Babalao et Mounirou et autres agents du petit palais.

Il était un peu plus de minuit quand le président de la séance, Gomina déclara :

"Puisqu'il ne veut pas parler, conduisez-le au Piquet d'intervention". C'est ainsi qu'ils appellent l'équipe de tortures.

Il y avait dans la cour au bas de l'étage, plus d'une trentaine de soldats armés de ceinturons, de bâtons, de lanières de câbles etc.

Du haut de l'étage, les chefs tortionnaires , Hounsou, Babalao, Mounirou donnaient des ordres.

Je suis déshabillé avec comme seul vêtement sur le corps, mon slip. Je suis mouillé avec un seau d'eau. On me fait rouler par terre pendant que cinq soldats me rouaient de coups de bâtons, de fouets et de chaussures rangers.

Du haut de l'étage, les chefs criaient:" plus fort, plus fort". Non satisfaits, ils ont désigné le lieutenat Mounirou pour aller donner l'exemple.

Avec un gros bâton, il s'est mis à taper de toutes ses forces. Je sentais des douleurs trés atroces au bras droit, puis soudain je suis tombé évanoui. Réanimé avec un seau d'eau, on me fit remonter à l'étage pour interrogatoire. Face à mon silence, on me remit une fois encore au piquet.

Un des tortionnaires me dit : "maintenant on va te tuer et t'enterrer sur place, on dira après que tu t'es évadé". Il sortit alors un poignard et me l'appliqua à la gorge en appuyant progressivement. Puisque cela n'a rien donné, ils ont repris encore les bastonnades, cette fois-ci de toutes leurs forces. Les équipes se relayaient périodiquement lorsque les hommes s'essoufflaient. Les chefs criaient du haut: " tuez-le, tuez-le" et les hommes tapaient encore plus fort. Une fois encore, je suis tombé évanoui. Lorsque je fus réanimé, il était presque 6 heures du matin. On me mit dans la voiture, avec mes habits que je ne pouvais plus porter. Je fus jeté dans ma cellule du poste 200, le corps complètement couvert de boue mélangée de sang.

Ce n'est que vers midi que les vertiges ont diminué et j'ai pu me relever et m'asseoir. J'avais faim, mais je ne pouvais pas manger. Je ne buvais que de l'eau que je rejetais immédiatement. Mon bras me faisait atrocement mal. Il était trop enflé et continuait de s'enfler. Mes codétenus ont pris peur et ont appelé le chef de poste. Celui-ci dit qu'il ne peut rien faire. Heureusement entre temps, le lieutenant Boni Mathieu, officier de permanence est arrivé. Il demanda aux infirmiers du camp d'intervenir. Ceux-ci m'ont nettoyé les plaies et donné des comprimés d'aspirine pour calmer les douleurs.

J'ai été obligé d'en prendre, bien que mes ulcères me brûlaient.

Plus tard dans la soirée, le capitaine Gomina arrive et demande de me faire sortir. Je fus transporté car je ne pouvais pas marcher à cause des vertiges et des douleurs. Il me demanda si j'étais prêt à parler. Face à mon silence, il dit:" tant pis, on viendra te chercher tout à l'heure pour te taper sur les plaies. Ensuite, tu seras déporté à Ségbana d'où tu ne sortiras jamais. Quant à ta femme presqu'à terme et ton enfant qui va naître, bientôt, je m'en chargerai personnellement."

Je suis à jamais marqué par des crises persistantes d'ulcères suite à la diète de plusieurs jours à laquelle j'ai été soumis au camp ghézo de Cotonou.


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TOGBADJA DOVI

Arrêté en 1978 et en 1979,

Centre de détention : Commissariat de Gbégamey-Cotonou.

Au Bénin de KEREKOU, les crimes, l'arbitraire sont monnaies courantes et nul ne peut se douter de son arrestation du jour au lendemain. Il faut s'y attendre.

C'est ainsi qu'en 1978, deux hommes en civil défoncèrent notre porte au petit matin. Je me réveillai pour les accueillir et déjà ils se ruèrent dans la chambre à coucher et me demandèrent expressément:

- Où est Julien ?

- Il est sorti depuis hier et n'est pas de retour, leur ai-je répondu.

- Tu ne sais pas où il peut être ?

- Non! je ne sais pas.

Pendant ce temps, la perquisition commença.

N'ayant rien vu de compromettant, ils avaient repris les questions suivantes :

- Quels sont les camarades qui le visitent ?

- Je ne connais pas leurs noms.

- Depuis que les gens viennent chez vous, tu ne les connais pas de nom! En tout cas, tu vas les connaître tout à l'heure.

- Tu ne connais pas Mèdenon Pierre?

- Non je ne le connais pas.

Il donne encore quelques noms des camarades de Julien que je suis sensé connaître, mais la réponse était toujours négative.

C'est à ce prix seulement que j'étais conduit au commissariat de Gbégamey où j'étais gardé au violon avec consigne "sans contact". Ces vils individus ont pour noms : Kakpotchitchi Michel et Sinho Antonin.

Pareil à un musulman en carême, encore que le musulman en carême mange très tôt le matin, j'étais resté à jeun depuis le matin jusqu'à 23 heures et quelques minutes. Ce n'était qu'après cette heure que la nommée Dosseh Monique, une fille sympathique, après m'avoir beau cherché partout dans les commissariats et gendarmerie, vint s'assurer de ma présence au dit commissariat pour aller finalement me ramener de la nourriture.

Ayant appris que la dite fille est arrivée me donner à manger, les deux inhumains et assassins étaient allés la menacer et l'avaient conduite jusqu'au commissariat pour interrogatoire en lui défendant de me donner de la nourriture.

Pendant plus de deux semaines, Dosseh Monique et sa mère étaient menacées et interpellées. Des jours durant, j'étais interrogé. Je reconnaissais entre autres flics, Bernard Sindjaloum.

Le violon, voilà le lieu de toilette de tous les détenus. Voilà également mon dortoir. Il a fallu vivre cette atrocité, mener cette vie de calvaire au violon pendant plus de trois mois...

Les événements de 1979 au campus avaient contraint bon nombre de militants à la clandestinité, voire à l'exil, y compris Julien. C'était à la suite de ces moments d'effervescence que deux hommes en civil s'étaient présentés à la maison à la recherche de Julien. Un matin de bonne heure, alors que je partais au cours de sept heures, je les avais vus assis devant notre maison. A peine m'avaient-ils laissé m'éloigner de la maison, ils m'avaient suivi et s'arrêtaient devant moi. L'un d'eux descendit et, m'arracha par le bras, me demanda de rentrer dans la R4 qu'ils avaient. C'est alors que, longtemps, je m'opposai. Le second, aussi violent que le premier me demanda expressément de rentrer auquel cas les peines seront allégées. Résistant toujours, le second sortit de sa poche une carte sur laquelle je lis : police.

Déjà nous étions entourés de monde. C'est alors que je dis aux gens que je n'ai pas volé, ni commis aucun crime... Ils cherchaient mon frère et ne l'ayant pas vu, ils s'attaquent à moi.

Aussitôt ces phrases prononcées, ils me brutalisèrent ; l'un d'eux me gifla et ils m'entraînèrent dans la voiture, mon kaki taché de boue puisqu'il avait plu. J'étais conduit et enfermé à la CRI près des trois banques depuis le matin jusqu'à dix heures, moment où ils étaient arrivés me chercher et me déférer au même commissariat de Gbégamey où les conditions de détention au violon étaient insupportables, voire difficiles.

D'où pouvait venir la nourriture ? Du ciel ? Non.

C'est alors que je finis pas bénéficier du reste de la nourriture des maliens arrêtés aussi pour je ne sais quelles raisons. Je suis autorisé à me laver une seule fois dans la semaine, les lundis matins. Comme toujours, je déposais ma matière fécale au violon même et ne la déversais que le lundi suivant.

Je vous annonce que la soeur de Togbadja Tchintchantin était aussi arrêtée pendant le même temps et gardée au commissariat de Zogomè.

En 1982, alors que Julien était arrêté, la police politique, composée de quatre hommes conduits par Aballo Firmin (ex-directeur en retraite à Akodéha) firent leur entrée dans notre maison. Il sonnait quatorze heures et plus. Ceux-ci disaient qu'ils étaient à ma recherche. Les parents leur avaient signifié que j'étais effectivement arrivé et que je venais à peine de rentrer sur Cotonou. Non contents de cette réponse, ils revinrent et assiégèrent la maison paternelle de 23 heures jusqu'à l'aube avant de poursuivre leur itinéraire.

Il fallait quitter le village et se cacher et ceci pendant plus de deux ans et de revenir après l'amnistie d'Août 1984. En 1987, livré à Adam (garde présidentiel) par Avinadjè Gisèle et ses frères jumeaux Damien et Come qui me traitaient d'anarchiste et de contre-révolutionnaire etc., j'avais été filé, poursuivi pendant plus d'un mois par des hommes du petit palais que je suis sensé reconnaître et me résolus de rentrer dans la clandestinité. Ceux-ci étaient allés me chercher auprès d'un cousin à Come et ne m'avaient pas vu.

De Guézin où j'étais, j'avais été livré par Zamman Michel à Tokannou Miflinso, un lieutenant militaire qui était allé me livrer aux hommes du petit palais qui étaient arrivés pour m'arrêter. Vigilant, je les avais joués et m'échappai tel un lapin devant un lion.

Face à toutes ces menées anti-populaires relevant du nazisme, du fatalisme qui nous avaient vu perdre des promotions, nous avaient arriérés...etc.

Demandons que tous les tortionnaires soient :

- châtiés et jugés.

- Que tous ceux qui ont été violés, torturés, assassinés soient dédommagés.


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TOKO Yako

né vers 1952 à Parakou

Ingénieur textile

Détention à Parakou et Ségbana.

Le 21 septembre 1985, je fus arrêté sur mon lit de malade alors que je souffrais d'une double fracture ouverte à la jambe gauche. Ce jour-là à 12 heures firent irruption dans ma maison à TBETEX, le lieutenant Babalao Alexis, le commissaire Chabi Guia Jean Baptiste, le sergent Aglo et deux autres, pendant qu'une multitude de militaires en armes prenait position autour de la maison et sur le toit. Après une petite hésitation, ils m'invitèrent à rester assis car ils sont arrivés pour opérer une perquisition ordonnée par le commandant Clément Zinzindohoue. Je leur demandais de m'en expliquer les raisons. Babalao dit alors qu'il leur a été dit que je suis le commanditaire des tracts jetés par-ci par-là à Parakou et suis responsable des activités subversives du PCD dans la région. Ils ont perquisitionné , ils n'ont rien trouvé. Pourtant ils n'ont pas démordu ; ils me prirent et me jetèrent dans une Land-Rover avec mes cannes pour le camp où ils m'ont promis une confrontation avec un certain élève qu'ils auraient pris et qui m'aurait accusé.

Arrivé au camp Séro-Kpéra, Babalao me plaça dans une cellule à la guérite où il revint me chercher que dans la nuit pour cette fois-ci me conduire à la poudrière. Là, me confiant au chef de posté, il dit : "Chef de poste, je mets cet élément à votre disposition ; il est très dangereux , donc surveilles-le de près". Et se tournant vers moi, il me dit : "Vous vous trouverez ici dans une zone militaire assez dangereuse, donc si vous faites le con, mes hommes finiront avec vous" ; alors là, m'appuyant sur mes cannes je lui répondis : "mon lieutenant un malade sans pied qu'est-ce que j'ai de si dangereux pour que vous me livrez de cette sorte à vos hommes ? Avant de me prendre de mon lit de malade, vous m'avez dit que vous m'emmeniez pour une confrontation avec un élève qui m'accuse : où est-il alors cet élève en question"? Il me reprit immédiatement : "ne vous pressez pas, vous le verrez, on est en train de nous occuper de cela. "A tout à l'heure".

A son départ, les militaires à qui ils m'avaient livré m'ont demandé qu'est-ce que j'ai pu ainsi faire pour être conduit ici avec un pied comme ça. Ils me demandèrent si j'ai mangé, je n'avais pas eu à manger cette nuit-là.

Alors dans la nuit profonde, le sergent Aglo vint me chercher avec une moto CG 125 et me conduisit au P.C. où attendait Babalao. Là ce dernier me dit d'avouer que je suis un membre du PCD. Si je veux faire le révolutionnaire, pour ne pas dire le con, je vais laisser définitivement mon pied ici et même ma peau, car KEREKOU leur a demandé de ne pas lésiner sur les moyens pour arrêter les membres du PCD. "Je vous aiderai continua-t-il, car je vous connais, mais tant que vous ne parlerez pas, ne comptez pas avoir des soins pour votre pied et là vous aurez choisi d'avoir une gangrène. On vous enverra pour l'amputation car on ne vous laissera pas mourir tant que la vérité ne sortira pas."

Le lendemain, on me présenta au Commandant Zinzindohoue qui proférera presque mot pour mot les mêmes menaces contre moi en ajoutant qu'en tant qu'officier assermenté, il sévira. Depuis ce temps, tous les jours c'est des menaces, les visites nocturnes étaient courantes pour que "je vomisse tout ce que les recommandations du Komintern me font garder dans le ventre".

Je ne dormais pas, le pied s'infectait. Ils refusèrent de me porter des soins jusqu'au jour où les esquilles d'os sont tombées. Une ostéite a gagné l'os. C'est alors qu'ils firent intervenir l'infirmerie de la garnison qui ne disposait d'aucun matériel adéquat pour me donner des soins. Des instruments sont souvent souillés, pas de compresses. J'en ai acheté à plusieurs reprises et aussi des antibiotiques : Totapen. Cela m'a coûté près de 35 OOO CFA. Malgré cela, mon état de santé se dégradait et les tortionnaires Zinzindohoue et Balabao menaçaient toujours de me laisser les pieds pourrir. Zinzindohoue et Balabao s'attachaient tellement à la bonne marche de leur commission d'enquête que plusieurs fois, dans la nuit, ils nous faisaient comparaître Monsia et moi devant les membres, pour nous dire que nous sommes en train de bloquer les travaux et que lui Zinzin a reçu du grand camarade l'ordre de faire de nous ce qu'il veut, qu'il peut nous tuer et nous mettre dans son trou duquel notre PCD ne nous enlèverait jamais. "Je sais, dit-il, si le PCD arrivait au pouvoir, il ne nous ménagerait pas, mais aujourd'hui nous vous montrerons que c'est nous d'abord".

Mon état s'empirant, ils se décidèrent enfin à m'hospitaliser à l'hôpital de Parakou le 21 janvier 1986. Alors, compte-tenu de la gravité du cas, dû à la négligence et au mépris des geôliers, j'y connus un long séjour : du 21 janvier 1986 au 8 juillet 1987 et subis deux interventions chirurgicales. Zinzindohoue, président de la commission a refusé de prendre en charge les soins : les médicaments et durant mon hospitalisation, la commission ne m'a pas nourri. Je me suis soigné et me suis nourri par mes propres moyens, l'aide des parents et des amis.

J'ai donc passé 534 jours à l'hôpital sans avoir été nourri par la commission. Elle n'a pas non plus jugé utile de m'acheter les médicaments : plâtre, antibiotiques, alcool, bande, éther, biogaze, sparadrap, sérum glucosé.... Les dépenses effectuées en médicaments atteignent 650 000 F CFA.

Le fait de laisser mon pied pourrir, de me menacer d'amputation et d'agir effectivement dans ce sens fut des actes de tortures physique et morale utilisés par la commission en vue de m'extorquer des aveux. D'ailleurs si à temps les tortionnaires avaient accepté que je sois hospitalisé, s'ils n'avaient pas attendu que le cas devienne inquiétant avant de m'envoyer, ma guérison se ferait sans séquelles. Aujourd'hui je porte de lourdes séquelles. J'exige que les préjudices moraux et physiques causés sur moi par les tortionnaires du parti-Etat PRPB soient évalués et que je sois dédommagé et que les frais de médicaments me soient remboursés de même que les frais de nourriture couvrant la période de mon hospitalisation (donc les 534 jours) doivent être remboursés.


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La famille TOGBADJA

Monsieur DJOSSOU et

Madame SEKPEMION

TOGBADJA

Domiciliée à AKODEHA via

COME (MONO)

Nous formulons contre le pouvoir antipopulaire de l'assassin KEREKOU, la plainte suivante :

Le 7 avril 1989, fut arrêté notre fils Luc TOGBADJA alors étudiant en Sciences Economiques (FASJEP) à l'université nationale du Bénin.

Après avoir été soumis à des tortures physiques et morales, il fut soutiré de son cachot du poste 200 (camp Ghézo) pour une destination inconnue le 7 mai 1989. Là, il a été passé à tabac et assassiné. Sur son corps, on a pu relever beaucoup de traces des tortures subies. Son crâne est fendu. Son bras désaxé etc...

Ce crime, digne du régime du fasciste hitler est monstrueux.

KEREKOU a assassiné notre fils, nous jetant dans une grande détresse.

Nous exigeons que justice soit faite. Elle doit se traduire par :

- La répression de tous ceux qui de loin ou de près ont trempé dans ce crime crapuleux.

- Le dédommagement des parents éplorés.

La famille TOGBADJA

Domiciliée à AKODEHA via

COME (MONO)

Nous formulons contre le pouvoir de l'assassin KEREKOU les plaintes suivantes :

1- En 1985, notre fils Julien TOGBADJA et 17 autres étudiants furent expulsés du campus pour fait de grève. Suite à cette décision, il fut pourchassé.

Mais qu'est-ce qui s'est passé par la suite ?

Alors que notre fils avait disparu de la circulation et que nous, nous ignorons où il était, une nuit en 1985, une meute de gendarmes venus de la brigade de COME avait investi notre maison familiale et la maison paternelle de Julien TOGBADJA. Les portes furent défoncées et la brutalité avait commencé contre hommes, femmes et enfants.

Que voulaient les flics ? Ils cherchaient Julien TOGBADJA qu'ils n'avaient alors trouvé dans aucune des deux autres maisons.

Au lieu de rentrer, ils avaient décidé, en lieu et place de Julien d'arrêter deux de ses oncles paternels qui sont : Abel Kolé TOGBADJA et Oké TOGBADJA qui purgèrent dans des conditions horribles plusieurs jours de détention à la Brigade de gendarmerie de COME sans jugement ni inculpation. Ces deux victimes de l'autocratie ne furent libérées que des jours après.

2 - En 1987, alors que la situation de notre fils Julien n'a toujours pas changé (il demeurait introuvable), le pouvoir fit encore irruption dans les deux maisons citées plus haut. Même scène, mais cette fois-ci de façon plus horrible. Portes et fenêtres de nos demeures furent défoncées. Hommes et femmes, nous fûmes brutalement réveillés et tout nus, nous fûmes jetés dehors éclairés par la lumière des torches, au milieu de nos enfants et des autres villageois arrachés à leur sommeil. C'était bestial.

Une femme, Mme Ablavi TOGBADJA, arrachée à son sommeil par les coups et le bruit de la porte défoncée (c'était dans la maison paternelle de Julien) piqua une crise. On l'abandonna au milieu des flics, toute nue. Elle demanda après à aller à la selle. Les flics l'obligèrent à déféquer là, dans la chambre, devant tout le monde. Ce qu'elle fit.

Après cette intervention barbare qui n'a rien à envier au style nazi, les flics, comme pour la première fois en 1985, emportèrent les mêmes victimes : Abel K. TOGBADJA et Oké TOGBADJA. Ils purgèrent plusieurs jours de détention sans inculpation, ni jugement.

Tous ces actes sont barbares, inhumains. Pourtant c'est ce que nous a fait vivre le pouvoir des brigands à la tête desquels se trouve KEREKOU.

Nous exigeons réparation.

N.B. : tous ces actes ont été perpétrés avec l'aide du mouchard Aballo Firmin, ancien directeur d'école en retraite à AKODEHA.


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YACOUBOU Jean-Marie

29 ans, étudiant

Libération : 2 septembre 1989

Centres de détention : camp Ghézo,

PLM Alédjo, prison civile de Cotonou,

camp Séro-Kpéra de Parakou, prison

civile de Segbana.

Toute cette histoire a commencé avec la grève des étudiants des mois d'Avril-Mai-Juin 1985. Etant 2ème responsable de ma Faculté (FAST) et membre du conseil central d'Administration de la coopérative universitaire des étudiants, j'ai été amené à assumer ma responsabilité en dirigeant, avec les autres responsables d'Entité ou d'Amphi, la dite grève. Très tôt, j'ai été poursuivi comme bon nombre de mes amis et au conseil des Ministres du 11.6.85, la décision de m'exclure avec les 17 autres de mes camarades fut rendue publique. Dès lors ma tête était mise à prix et je fus contraint à la clandestinité. Malheureusement quelques mois plus tard, je fus arrêté sur dénonciation du délateur DADJO Pierre.

Arrêté le 5 Aout 1985 à 19 heures par l'équipe des lieutenants TAWES et ZANKARO Moumouni, je fus conduit au camp Ghézo et plus précisément à la "maison blanche" où croupissaient déjà 4 personnes dont 3 étudiants (Wantchékon Léonard, Kèdoté Léonard, Houedanou Barnabé et Vidégla Euloge). La nuit même , j'ai reçu la visite d'une équipe des gardes du corps de KEREKOU, qui m'ont passé à tabac. Alors que j'avais des menottes aux mains et aux pieds, ces gorilles s'étaient jetés sur moi, qui avec des coups de poings, qui avec des coups de pieds, qui encore avec les coups spéciaux appris lors de leur entraînement de karaté. Alors j'était livré sans aucune possibilité de défense. Je fus roué de coups et fus particulièrement atteint à l'oreille droite qui a coulé du sang. Après 45 mm d'acharnement, ils refermèrent la porte de la cellule et me laissèrent dans le noir. Quelques secondes plus tard, j'entendis un cri de douleur de la cellule d'à côté. Après 2 heures de temps, tous nos cellules retrouveront le calme nécessaire pour réfléchir et me préparer à ce que le lendemain me réservait. Mais je me trompe largement, car très tôt après leur départ, j'ai commencé par ressentir de vives douleurs à l'oreille atteinte et je n'ai pas retrouvé le sommeil jusqu'au lendemain matin. Mon calvaire ne venait que de commencer.

Ce lendemain donc, le lieutenant ZANKARO arriva vers 9 heures pour me demander si j'avais passé une bonne nuit. Je lui répondis que les conditions qui m'étaient faites ne me permettaient pas de passer une bonne nuit.

1 - Pour tout vêtement, je n'avais que mon slip

2 - Je ne disposais pas de place suffisante pour m'étendre dans le cas où je me déciderai à dormir.

3 - Que son équipe a passé et m'a souhaité la bienvenue à sa manière et je lui montrais mon oreille d'où du sang coulait encore et qui me faisait atrocement mal. Sans rien répondre, il referma le poste et s'en alla.

Ce même jour vers 10 heures, un soldat vint en tenue de sport me demander mon nom, prénom, faculté et m'honora de quelques gifles avant de s'en aller. Ce fut tout pour ce jour-là.

Je n'ai plus revu le lieutenant ZANKARO le mercredi qui suivit où ils vinrent me chercher pour l'interrogatoire. Pour un interrogatoire, c'en était un. Je fus sorti de ma cellule où je vivais seul vers 15 heures. Je fus ensuite conduit dans une salle où m'attendait le lieutenant TAWES assisté d'un autre dont j'ignore le nom. Arrivé là, un questionnaire me fut remis. Parmi les questions, on pouvait lire :

1- depuis quand es-tu membre du PCD ?

2 - qui t'a recruté ?

3- quel est ton maître de stage ?

4 - qui as-tu recruté ?

5 - où sont tes camarades Agbétou, Alassane, Waounwa et autres ? etc.

A toutes ces questions, je déclarai que je n'en sais rien et que je n' y répondrais pas. TAWES ricana et me dit que j'allais leur livrer tout dans les minutes à suivre. Sur ces mots, il fit appeler deux soldats qui vinrent aussitôt bâtons en mains. Ils commencèrent par me taper dans la salle et me conduisirent à un robinet situé derrière le bâtiment. Là, je fus forcé à me coucher sous le robinet et fut mouillé (toujours en slip). D'autres détenus, que je connaissais d'ailleurs étaient aussi amenés. Il s'agissait de Benoît Djegui et Adjassin Eric, tous deux parents de Cyprien Djegui qui avait échappé aux assassins. Ces deux étaient retenus en otage de même que 4 autres personnes dont la mère de Cyprien.

Après nous avoir tous mouillés, une équipe de près de 20 personnes, toutes armées de bâtons se déchaînèrent sur nous. La fameuse séance de rodéo commença. TAWES et ZANKARO suivirent eux-mêmes "l'opération". Les coups de bâtons pleuvaient à tel point que je n'avais même pas le temps de sentir la douleur. Mais dès cet instant ma résolution était prise : mieux vaut mourir que de parler ! Après deux heures de coups de bâton, de chicote et de cravache, TAWES me demanda si j'étais prêt à parler. Je ne répondis pas et à Zankaro de donner l'ordre à ses hommes de repartir. Mais cette fois-ci je fus seul car les deux lieutenants avaient demandé d'arrêter de taper les deux autres codétenus. Seul au milieu d'une allée, il ordonna de me conduire à l'hôpital mais il fit semblant de n'avoir rien entendu et nous quitta. J'insistai après son départ, à voir mes autres camarades qui étaient dans d'autres cellules pour savoir si je pouvais avoir certains médicaments pour atténuer la douleur qui était devenue insupportable. Le chef de poste accepta et alla chercher une boîte de zorro chinois et quelques comprimés d'Aspirine auprès de Wantchékon. J'ai avalé 2 comprimés sans avoir besoin d'eau et me mis à masser le bras qui était enflé jusqu'à l'épaule. Alors pris de pitié, un soldat vint m'aider à faire le massage. Après le traitement, je fus conduit en cellule, le corps couvert de blessures et de sang, je ne pouvais pas résister au sommeil qui m'emporta aussitôt. Je fus réveillé vers 13 heures par la faim. Je tapais à la porte et demandais au soldat d'aller m'acheter à manger. C'est alors qu'il me répondit que les 1000 F que je lui avais laissés étaient finis. J'exigeai à voir le lieutenant ZANKARO. Il arriva après une heure de temps et je lui posais clairement mes problèmes que sont :

1- m'envoyer à l'hôpital

2- rechercher et trouver ma soeur pour qu'elle m'amène à manger puisqu'il refusait de nous donner à manger

3- m'amener auprès de mes autres camarades afin que je puisse manger avec eux ce que leurs parents leur amènent

4- me permettre de me laver afin de nettoyer le sang qui couvrait tout mon corps.

Il refusa de m'envoyer à l'hôpital une fois encore mais prit les coordonnées de ma soeur et donna des instructions aux soldats pour qu'ils me prennent à manger auprès de mes autres camarades pendant les moments où ces derniers mangeaient. Depuis ce jour je me nourris avec mes camarades.

Trois jours après le rodéo, le lieutenant TAWES arriva un après midi tout furieux et demanda qu'on me sorte. Je fus tout de suite dehors toujours en slip et il me demanda de tout lui "dire sur l'équipe qui verse de l'acide sur des citoyens honnêtes". Je répondis que je n'en savais rien et il demanda alors à son équipe qui était déjà prête à s'occuper de moi malgré mon bras qui était toujours enflé. Cette fois-ci la séance ne dura pas, mais je fus complètement amoché et épuisé. Une fois encore j'avais le corps couvert de sang, l'oeil droit poché. Après cette séance, l'ordre fut donné par TAWES de me mettre avec les autres camarades. Nous fûmes tous regroupés dans une cellule de 5 m sur 3 m. Nous étions au total 5. A partir de ce jour nous n'avons plus à répondre aux questions mais tous les jours nous avions droit à une séance de bastonnade.

Nous restâmes avec ce régime jusqu'au jour où deux personnes seront arrêtées. Il s'agit de Gnimagnon Louis et Agbla Jonas. Ils furent traités tout comme nous, à notre début... Une forte dose de rodéo ; Jonas fut contraint de rester au garde à vous pendant des jours alors que tous les jours presque il était battu. Ces deux nouveaux venus étaient des fonctionnaires de l'Etat. Ils étaient accusés d'être des membres du parti communiste du Dahomey. Cette semaine fut tout aussi dure pour nous qui étions là. Après cette série de tortures où il y a eu des blessés graves (Vidégla Euloge, fracture à la main droite et Gnimgnon Louis dont les fesses ont pourri pour coups reçus). Nous avions subi d'autres séances de rodéo et surtout en présence de mes parents pour mieux nous humilier. Le 26 septembre, le lieutenant TAWES (actuellement capitaine) nous amena Dadjo Pierre pour une confrontation. A cette confrontation, tout le mensonge du délateur fut étalé, néanmoins, TAWES décida de nous transférer au camp du PLM où dès le soir même les couleurs furent annoncées. Bastonnades, brûlures de mégots sur nos corps, etc.

Là aucune question ne nous était posée. Les caporaux Pascal KOUSSEMOU et ZABIOU étaient les exécutants les plus zélés en la matière. Trois jours après notre arrivée au PLM, alors que nous n'avions plus d'eau à boire, nous avons demandé à Koussémou, le chef de poste de ce jour-là, de nous permettre d'aller en chercher. Trente (30) minutes plus tard il vint ouvrir et me désigna pour aller chercher l'eau. Il déclara ce qui suit : "Vous voulez boire. Jean-Marie, tu vas chercher l'eau, si tu me connais à Dassa, saches que je ne suis plus le même. Mon métier actuel a pour nom bourreau et je suis payé pour tuer". Je pris alors le bidon et sortit. Une surprise générale m'attendait dehors : de la porte de notre cellule jusqu'au robinet qui se situait à 80 mètres à peu près, une double rangée de soldats m'attendait, bâtons en main. L'ordre me fut intimé de commencer par ramper. Je me mis à ramper alors et les coups ont commencé à pleuvoir. Je fus battu à l'aller et au retour. Tout mon corps était en sang. A mon retour, KOUSSEMOU nous souhaita bon appétit car c'était pour manger que nous avions besoin d'eau.

Une semaine plus tard, on nous autorisa à aller nous laver et c'était encore la même scène avec le même KOUSSEMOU.

Que ce soit au camp Ghézo ou au PLM, nous n'étions pas autorisés à rencontrer nos parents. Ces derniers doivent désigner une femme à qui une carte est délivrée par la présidence. Cette femme doit présenter chaque fois qu'elle arrive ladite carte avant que le repas ne soit accepté. Tout visiteur sans carte est purement renvoyé. S'il n'est pas menacé d'arrestation. A PLM, l'intimidation a été forte sur nos parents. A plusieurs reprises nos parents ont été contraints de manger toute la viande ou les oeufs que contenait le repas qui nous a été amené. C'est le cas de ma soeur et du frère de Léonard Wantchékon.

Concernant nos questions de santé, aucune de nos demandes relatives à la possibilité de consulter des médecins n'a jamais été prise en compte. Pis encore, tous les médicaments que nous demandions à nos parents étaient purement confisqués lorsqu'ils les amenaient. En dehors de nos plaies, il y avait certains parmi nous qui souffraient de beaucoup d'autres maladies telles que le rhumatisme, des maux d'yeux, de tremblement. Les tortures morales étaient permanentes : nos photos furent prises au PLM avec des pancartes portant nos noms respectifs par exemple, des scénarios d'exécutions - on nous réveille à 2 heures du matin et on nous menace de nous conduire à la plage pour être exécutés si on ne parle pas. Les soldats sont alignés avec des fusils à cet effet etc.

Nous fûmes transférés à la prison civile de Cotonou le 31 octobre 1985. Là nous étions jetés en prison sans aucune autre forme de procédure. Lorsque le procureur général de la République était de passage à la prison et que nous lui avions posé notre cas, il nous dit que le cas des subversifs ne le concerne pas et que seule l'autorité qui a décidé de leur détention pourra décider de leur sort. Je suis resté donc là qui me semblait être un paradis vu la barbarie que nous venons de quitter car à la prison de Cotonou on ne nous battait plus ; nous pourrions nous laver et surtout recevoir la visite de nos parents. Mais malgré cela, nos repas étaient à nos frais et toutes les démarches que nous avions entreprises pour que le pouvoir prenne cela en compte sont demeurées vaines. J'y suis resté jusqu'au 28 décembre où on vint me réveiller à 5 heures du matin pour me demander de me préparer pour un voyage éventuel. Quelle est la destination de ce voyage ? Le commissionnaire n'en savait rien. Vers 7 heures 30 mm, le véhicule arriva enfin et m'embarqua. Je reconnus quelques étudiants arrêtés comme moi et gardés dans d'autres lieux de détention. Après avoir fait le tour des commissariats et des camps, on prit la voie de Parakou et c'est là que je sus qu'on allait à Parakou. Le chef de convoi, l'inspecteur IDOSSA nous dit qu'il nous faudra dire la vérité quand nous serions à Parakou.

A Parakou, je rencontrai le staff dirigé par le commandant ZINZINDOHOUE Clément qui me remit une feuille contenant plusieurs questions de même genre que ce que j'ai eu à Cotonou. Des feuilles nous furent distribuées. Nous fûmes conduits dans nos cellules respectives après avoir répondu aux questions. Je fus ensuite conduit dès le 15 février 1986 à Ségbana. Là-bas les conditions de détention sont tout aussi draconiennes qu'au PLM sauf qu'on ne nous battait pas. Les cellules, au total 8, étaient trop pleines. J'étais resté dans la cellule n° 15 dont les dimensions sont d'environ 7 m x 5 m et dans laquelle le nombre est allé jusqu'à 22 détenus. Nous nous couchions sur des couvertures qu'on nous distribuait à l'entrée. Il n'y avait pas de nattes à mon premier tour. On nous nourrissait à 3 000 F CFA par jour. Nous étions en cellule 24/24 heures sauf pour aller aux toilettes. Les repas qu'on nous présentait étaient de mauvaise qualité et le plus souvent je dormis à jeun. Les visites étaient interdites. A plusieurs reprises, nos parents ont été renvoyés alors qu'ils se sont donnés toutes les peines de ce monde pour effectuer le voyage. Même la remise des colis ne se faisait pas à cette époque.

Le 26 février 1986, je fus rappelé à Parakou pour interrogatoire. Arrivé à Parakou, on nous a isolé au poste de Police sans contact avec les autres détenus du Camp. L'interrogatoire eut lieu le 4 mars. On me demanda les noms des étudiants et élèves qui ont participé à la grève de 1985. A cette question, j'ai répondu que je ne saurais le dire ; réponse qui énerva Zinzindohoué qui ordonna qu'on me fasse subir un rodéo en bonne et due forme jusqu'à ce que je sois prêt pour leur dire ce qu'ils voulaient de moi. Je fus donc plongé dans une citerne puis battu par un groupe de près de 20 soldats armés de bâton, chicote, lanière, etc. Je fus blessé et reçus encore un coup à l'endroit précis où j'ai eu une fissuration de l'os avec TAWES et ZANKARO. La radiographie du bras que j'ai faite deux semaines plus tard faute de moyens a attesté qu'il y avait effectivement fissuration mais que l'os se reconstituait de lui-même déjà. A Parakou tous les produits étaient à notre charge. En Avril, je fus déporté encore sur SEGBANA où je resterai jusqu'en juillet. C'est féroce, les conditions climatiques ont changé car l'harmattan a laissé la place à une grande chaleur étouffante. Dans ces conditions, les cellules qui ne sont pas du tout aérées sont devenues de véritables fours. On y étouffait littéralement. Dès les premiers jours de ce second séjour un incident se produira : un camarade était tombé évanoui, faute d'oxygène. Après l'avoir tapé longtemps, les geôliers sont arrivés pour ouvrir les cellules. Depuis ce jour nous avons juré de ne plus accepter de nous faire enfermer dans les cellules pendant la journée. Il y eut quelques injures échangées et même quelques coups de poings entre nous et nos géôliers. Mais comme résultat, on a obtenu de rester dans la cour interne de la prison (qui n'est pas moins un fort) de 8 heures à 18 heures.

Après ce séjour, je fus ramené à Parakou en juillet à la suite de la lettre adressée au Procureur général de la République. A Parakou, je subis avec les autres camarades, toutes formes de tortures morales. Le capitaine BABALAO Alexis était chargé de nous rencontrer et de nous faire changer d'avis. Presque tous mes camarades, sauf nous deux, avaient été ainsi contraints d'écrire une lettre de désengagement par rapport à la première requête adressée au Procureur, par la suite, sur proposition de Balabao. Ils écriront tous une lettre individuelle de clémence au Président de la République. J'ai refusé de céder à cette manoeuvre et fus encore renvoyé à SEGBANA en mars 1987.

Je dois signaler ici qu'il y eut un incident pendant mon séjour à Parakou qui coûta à nous qui étions détenus au poste "manguiers" la bastonnade systématique. Il s'agit de la femme d'un des nôtres, Grégoire KPEKPEDE. Elle est allée voir son mari mais ce militaire prétexte qu'elle ne les avait pas salués. Cela nous révolta et nous amena aux mains Avec les soldats. Quand ZINZINDOHOUE arriva, tout le monde cessa la bagarre et il commença par nous injurier. Il nous rassembla et annonça la sanction. Une bonne dose de rodéo pour tout le monde avec des particularités pour le mari de la femme et d'autres qui y étaient cités comme meneurs. La femme elle aussi n'a pas échappé à cette torture, elle a eu droit à sa séance de rodéo. C'est ainsi qu'à plus de 50 que nous étions, nous avions été livrés presque nus à des soldats qui étaient surexcités.

Sur mon séjour à SEGBANA, j'espère que d'autres camarades pourront en parler étant donné que mon récit est déjà long.

Je dois de signaler qu'à mon séjour à SEGBANA, ma mère a été purement et simplement renvoyée à Parakou alors qu'elle demandait à me voir. Le capitaine AGONKAN lui demanda d'aller s'occuper des autres enfants, que moi qu'elle était venue voir, était un enfant perdu. Ma pauvre mère quitta le camp Séro Kpéra totalement bouleversée.


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YANSUNNU Magloire

Né le 2 octobre 1947 à ABIDJAN - Côte d'Ivoire.

Avocat stagiaire

Arrestation : 19 Janvier 1988

Libération : 3 septembre 1989

Centres de détention : Commissariat central de Cotonou

Camp Séro-Kpéra de Parakou

Prison civile de Ségbana.

J'ai été arrêté dans la nuit du 19 janvier 1988 à la suite d'une dénonciation calomnieuse effectuée par le gardien de l'office béninois des Mines (OBEMINES) à Wlacodji.

J'étais intervenu auprès de ce gardien pour faire libérer un distributeur de tracts pris en pleine action.

Pendant que je parlais, ce dernier a pris la fuite. Le gardien pour se venger a décidé de m'accuser en lieu et place de celui qui venait de lui échapper.

C'est ainsi que je fus conduit dans une horde de membres du CRL basé à l'ancien pont.

J'eus à peine le temps d'ouvrir la bouche que j'étais tiré à hue et à dia, frappé de dos et mes vêtements mis en lambeaux.

Je tentai de fuir et ce fut pour mon malheur car au cri de "Olé" "Olé" (au voleur) tous les CRL du quartier me cernèrent à la station STPA de l'ancien pont. Les coups redoublèrent, je reçus même la boucle d'un ceinturon de militaire au bas de la nuque.

Finalement, je fus transporté à la sûreté urbaine de Cotonou. J'avais alors été délesté de mon porte-monnaie, de ma montre, de mes chaussures. J'arrivais donc en piteux état au poste de police. L'accueil était moins brutal quoique des menaces avaient été proférées par certains policiers à mon encontre. Cependant je découvris plus de bienveillance dans ce milieu qu'avec les CRL.

Du reste des sbires, je ne subirai que des traitements cruels et dégradants et plus de tortures physiques. Ainsi, lors de mon transfert de la sûreté urbaine de Cotonou au commissariat central, le soldat chargé de ma surveillance vitupérait contre moi et me faisait entrevoir les délices du petit palais. "Tes testicules seront broyés comme ça" me disait-il en frottant ses mains l'une contre l'autre avec délectation. Cependant c'est au commissariat central que je connus les pires humiliations.

D'abord on m'ordonna de me déshabiller. C'est en slip que je pénétrais dans le violon 3.

Nous étions une quarantaine de détenus dans un réduit de 3 m2. Pour se coucher, il fallait se disposer en deux rangées puis disposer les jambes l'une après celle de son vis-à-vis, de manière à ne pas atteindre son entrejambe, j'étais au milieu de détenus de droit commun au nombre desquels figuraient le fameux Seidou. Ceux-ci m'avaient pris pour un mouton chargé de percer leur secret et démanteler leur réseau. Ils avaient résolu de me régler mon compte et je ne devais mon salut qu'à l'intervention d'un détenu influent qui m'avait constitué 15 jours avant mon arrestation et qui avait attesté que j'étais réellement un avocat.

Dans tous les cas, j'avais été parqué près du pot d'urine et à excréments. Toute la nuit et toute la journée, il fallait respirer cette fétidité, manger pendant que certains se délestaient, parfois les gouttes d'urine vous tombaient sur le corps et peut-être dans le plat. Pour tenir il fallait changer de la tête l'idée de ce qui était avalé.

La zone était infestée de microbes et on y attrapait des gros boutons purulents. Deux jours après, mon sort fut amélioré car les chefs de cellule me déplacèrent de là.

Du reste le traitement qui m'était réservé par la police avait dissipé tous les doutes sur la cause de ma détention.

Tous les droits communs étaient autorisés à sortir prendre leur douche tous les jours, à l'expiration de moi et d'un instituteur pris parce qu'il avait eu le malheur d'être le cousin d'AKPOKPO Glèlè Rémy.

Le refrain était le suivant : "tout le monde à la douche sauf Gnancadja et Yansunnu".

Or la cellule était une étuve et on couchait en slip sur le ciment, la chaleur était telle que les chefs de cellule exigeaient aux nouveaux venus de leur battre l'air.

J'ai été astreint à cette corvée durant la première nuit de mon arrestation sans pouvoir fermer l'oeil et à jeun.

Une autre série d'humiliations consiste d'abord de m'emmener dans ma maison en haillons, menottes aux poignets : toute ma rue était dehors pour observer ce spectacle.

Un jour je fus emmené, menottes aux mains au 7ème étage du ministère de l'Intérieur. Le Ministre de l'Intérieur voulait me rencontrer pour m'amener à un repentir qui pouvait entraîner mon élargissement rapide et arrêté toute la campagne nationale et internationale faite autour de mon arrestation et du traitement que je subissais.

Ce fut là encore une série de traitements dégradants : je devais aller au W-C.

Alors que j'étais au septième étage et avais des menottes aux poignets, un lieutenant appartenant au cabinet du ministre ordonna qu'on laissa ouverte la porte des W-C. de peur que je m'évade.

C'est donc devant trois ou quatre personnes dont deux, armées de AKM que je dus satisfaire mes besoins et plus humiliant, me torcher le derrière dans une position des plus acrobatiques car j'avais des menottes. Le couloir étant un lieu de passage, je n'étais à l'abri d'aucun regard.

Poussant plus loin l'humiliation, le lieutenant ordonna qu'on me fit descendre des fauteuils de l'antichambre du ministre et asseoir par terre en tailleur.

Le soldat qui était venu me transmettre l'ordre était embarrassé et j'ai dû le mettre à l'aise. Je suis resté près d'une heure dans cette position sans pouvoir du reste rencontrer le ministre qui, à ce qu'il paraît a été effrayé par mes propos déterminants et m'a fait dire qu'il était absent. Il craignait que dans ces conditions mon intervention ne soit interprétée par l'autocrate comme une complicité avec le PCD.

Toutes ces scènes étaient ponctuées de pressions morales du genre "Yansunnu, il faut collaborer sinon c'est foutu pour toi".

Dix jours plus tard, j'étais au camp de Séro-Kpéra où il s'est agi surtout de menaces et vociférations du Colonel ZINZINDOHOUE, qui en fin de compte m'a fait transférer à Segbana. Ils avaient fait croire à mes parents que j'étais désormais en sursis de mort.

Le plus pénible dans ce camp était de voir ses compagnons de cellule revenir des interrogatoires le corps couvert d'ecchymoses ou pissant du sang et d'attendre inéluctablement son tour sans savoir quand est-ce que ça arrivera.

Je ne saurai terminer sans rendre hommage à ceux d'entre les policiers de la sûreté urbaine de Cotonou qui m'ont accueilli cordialement et m'ont permis de me conformer dans l'idée que, dans notre combat, nous n'étions pas isolés et qu'une grande masse de gens inconnus nous soutenait à leur manière.

Je remercie surtout ce policier de la sûreté urbaine dont j'ignore le nom qui m'a offert 100 francs pour manger le 20 janvier, alors que j'avais le ventre creux depuis la veille et à qui je n'avais rien demandé ; sans doute avait-il deviné mes problèmes en ce moment-là car tout était mis en oeuvre pour que mon lieu de détention soit ignoré de mes parents.


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YELOME Epiphane Lucien

Né le 8 Janvier 1961 à Cové

Etudiant en 2ème année/Géo/FLASH

Arrestation : 7 mai 1985

Centres de Détention : PCO-Camp Ghézo,

camp militaire de Ouidah, camp Séro-Kpéra-Parakou

Prison civile de Ségbana

Libération : 1er avril 1989

Raisons d'Arrestation : 2ème membre du CCA/BEN-CUE,

dirigeant des grèves d'Avril-Mai 1985.

Soupçonné d'appartenir à l'OLUB, donc membre du PCD

TORTURES ET SEVICES CORPORELS

TORTURE PHYSIQUE :

du 07-05 au 08-05-1985 (22 heures 45 à 5 heures) sous la direction du Colonel COOVI Gaston, alors chef d'Etat Major/FDN en collaboration avec HOUNSOU Patrice et Kouton alors tous deux lieutenants, et d'autres officiers de permanence au 1er BIA/camp Ghézo du 07 au 08605-1985

OBJETS UTILISES : ceinturon US (boucle lâchée), bâton, matraque et lanières. "Pisard".

Effectif des Commandos : il varie entre 4 et une trentaine.

Fréquentes bastonnades au camp Séro-Kpéra de Parakou sous la direction du commandant (puis du colonel) ZINZINDOHOUE Clément, en collaboration avec les lieutenants (capitaines) AGONKAN Alphonse et Alexis BABALAO.

TORTURE MORALE

Les interrogatoires qui perdurent par exemple de 09 heures à 16 heures, des questions et menaces venant d'une équipe d'enquêtes de 3 membres (AISSI alors CIJ, IDOSSA et YABARA).

Interdiction de visites et de contacts du 07-05-1985 au 05-08-1986 et privation de repas du 07-05-1985 au 28-12-1985.

PREJUDICES

- cinq années académiques perdues

- bourses perdues

- quelques cicatrices sur le corps


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QUEL AVENIR

17 ANS !

17 ans de nuit noire,

De nuit cauchemardesque

Pour les peuples égrenés

A l'ombre des panneaux géants

A la gloire du Parti-Etat

Et d'un marxisme bancal et provoqué

17 ans,

17 ans de nuits ténébreuses

Passées dans le royaume moyenâgeux

Où, caméléon

Au son des cliquetis des Kalachinkovs

Des fracas assourdissants

Des grilles du PLM, du camp Guézo

Au camp Séro Kpéra et de Ségbana,

Au son des explosions des lacrymogènes,

Et des bruits de bottes

Martyrisant en conquérant insolent

La terre sacrée de nos aïeux.

17 ans !

Quel bilan des 17 ans d'incurie

De médiocrité, de gabégie et de pillage

Erigé en système de gouvernement

Où, tel un typhon, le PRPB

Ravage tout sur son passage

Expédiant cyniquement de vie à trépas

Tout ce qui est perfection.

Et ta valeur sûre.

Ah quel désastre !

Et pourtant il ne fallait rien dire.

17 ans

Quel est le bilan de 17 ans de ruissellement

D'un peuple bâillonné

Englué dans la boue humiliante

De l'oppression et de l'exploitation maladroitement camouflé

Par les litanies mystificatrices

Des faux prophètes du marxisme

Se faisant vénérer au rythme

Des Ehuzu dan dan

17 ans !

Quel réquisitoire contre ces barons replets

Ces monstres cyniques aux lunettes d'or.

Gavés jusqu'au cou du sang et de la sueur de notre labeur.

Quel réquisitoire contre les forfaitures.

Les outremidanas de Saint Mathieu

Et de ses apôtres déversant à flots

Les versets surannés de l'organisation

Et de la mobilisation des masses populaires

Et véhiculant leurs somptueuses limousines

Le symbole des mirobolantes promesses

"Société où il fera bon vivre

pour chacun et pour tous"

17 ans !

Quel verdict contre les mains assassines

Ces bourreaux arrosent lâchement

De rafales le peuple aux mains nues

Hurlant dans la rue sa faim et sa misère.

Quel verdict contre ces abjections

Ces crimes odieux des barbares aux képis

Chaque jour mutilant les dignes fils du peuple

Et leur fracassant les crânes

Au choc de la matraque et de la mitraillette

Martyrs et victimes héroïques de l'autocratie

Tombés à l'aube du combat sacré

Pour tous ceux qui, soif, faim,

misère et répression aveugle

Abrège les jours. Quel verdict ?

Un verdict à la mesure de leur forfait !

Car le pardon n'exclut pas la justice !


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PAIX A TON AME

Tourne la roue de l'histoire

Avec elle, la sanglante odyssée

Des peuples du Dan Xomè

Néanmoins, à la tâche ! Plus de répit pour vous.

Car l'enjeu, c'est "to be or not to be"

Nos peuples ne s'y méprennent point.

Aussi marchent-ils intrépides contre l'imposteur !

Leurs coeurs endoloris par les deuils de leurs fils fauchés.

Macabre circonstance que celle qui hélas !

Nous contraint d'énumérer nos martyrs :

Houyomè, Atchaka c'était hier,

Et déjà aujourd'hui, Rémy nous te pleurons.

O Rémy AKPOKPO, vieux compagnon

De chaîne et de misère, militant farouche

A la trempe d'acier des Bolcheviks pur sang

Sous les démoniaques tortures

des assassins, tu succombas.

Dans l'opacité obscure de l'éternel

Tu t'es endormi, bravant la hargne bilieuse

Et scélérate de tes bourreaux assoiffés de sang.

De toi, ils voulaient un aveu, l'abjuration, la honte.

Non ! Non ! Le serment pour militant digne,

C'est sacré ! Plutôt le trépas que le parjure

C'est ce que tu prouveras

Ton héroïsme, fiers guerriers

Nous saluons !

Oui les peuples endeuillés par ta fin précoce

Et cruelle honorent et saluent ton courage et ta ténacité,

Dans le combat pour la liberté et la démocratie

Aucun sacrifice n'est ni trop grand, ni inutile.

Compagnon des premières heures qui hélas !

Au fond de l'abîme, amarre

Dans la force de l'âge la barque

De la vie et du militantisme.

Devant ta glorieuse mémoire, le peuple s'incline

et te dit Adieu !

Adieu Rémy, Adieu

Que la terre te soit légère

Et qu'en paix repose ton âme

Nous te vengerons.

P.C.S. 28-2-88

Poème : Couronne éternelle

(Dédié à TOGBADJA Luc)

Les fleurs ce jour pâlirent

La triste nouvelle

Par monts et vallées répercutée

Traversa le monde entier

Les visages s'assombrirent

Et les torrents de larmes

A flots ruisselèrent

L'autocratie,

Toute négation de la démocratie

Sur les pages sombres de son règne

Venait d'inscrire

Le nom d'une nouvelle victime

TOGBADJA Luc !

TOGBADJA Luc !

TOGBADJA Luc !

TOGBADJA Luc !

Réponds-moi

De ton éternel sommeil

Réveille-toi et réponds-moi

Ce jour-là

Les bourreaux de nos peuples

Bandèrent tes yeux

Du lugubre voile noir.

Ils venaient, ces sanguinaires

Du sinistre cachot, t'extraire

Le crime, dans leur macabre cerveau

Fut soigneusement préparé

Des volées de coups de chicotes

De cravaches, de bâton

Pleurent sur ton corps en sang

Puis, ce fut le choc fatal

La nuque affreusement défoncée

Et le forfait fut consommé

Cher Ami

Martyr au pays de l'inconnu parti

Pour rien au monde

Tu ne saurais disparaître

La brise qui souffle te porte vivant ;

Dans le soleil qui luit, tu es lumière.

A la bouche du nouveau-né qui agit

Tu es vérité et innocence.

La nuit ne fait pas fantôme.

O ! TOGBADJA Luc !

L'écho clame ton courage,

Courage légendaire par tout l'univers.

Sur l'aile de l'hirondelle

Vibrent ta foi en l'avenir

Et ta furie de vaincre

Pour un monde meilleur à bâtir

O ! TOGBADJA Luc !

L'arme de tes mains tombées

Est déjà, par une bordée de bras, empoignée.

Bientôt, elle s'abattra

Sur l'hideuse tête de l'autocratie.

O ! TOGBADJA Luc !

Ecoute dans le silence

Ton peuple te crier sans cesse :

"Mon fils,

Mon digne fils,

Tu seras vengé".


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LE SILENCE DU SEPULCRE

(dédié à AKPOKPO Glèlè Rémi)

Il est des hommes

Qui ne peuvent disparaître ;

Des hommes qui meurent pour être

Et renaître comme

Phénix de ses cendres.

Il est des hommes

Que la mort ne peut descendre,

Même quand elle arrive et les assomme ;

Des hommes que ne peut baîllonner

Le trépas dans sa fureur aiguillonnée

Il est des hommes qui, une fois morts,

Ne meurent plus jamais.

Des hommes dont le sort est un trésor.

Toi, vaillant combattant, tu aimais

Ta patrie et te battais pour elle ;

Et les sangsues te taxèrent de rebelle.

Durant des ans, tu as croupi en geôle.

Des ans qui affermissent ton rôle

De guerrier de la liberté.

Ce furent ensuite des lunes en clandestinité.

Puis un jour sans soleil,

Un jour par mille fois maudit,

Le sinistre filet de l'autocratie,

Sur toi s'abattit au macabre réveil ;

Et la dernière heure sonna.

Et aux quatre coins de l'univers,

La triste nouvelle résonna.

Tel un tocsin colporté en ondes

Par les tambourins, de seconde en seconde,

Et roulant des flots en verre.

Sous les tortures sans nom

De la meute d'argousins et de sbires,

Tu succombas sans mot dire.

A l'hideuse face de ces guenons,

Tu crachas ta haine ; en silence,

L'histoire se déroule et recense ;

Le martyrologue ainsi s'imagine.

Tu écris alors de ton sang, une belle page

Du livre d'or du panthéon de la patrie

Où tu rejoignis des héros, tel Hounyovi.

Adieu ! compagnon disparu.

Nous courons et venons par les rues,

Les yeux gros de larmes, le coeur plein de chagrin,

Ecouter le silence de ton sépulcre ;

Il nous intime l'ordre de vaincre.

Adieu ! compagnon disparu ! ami

Assassiné par la criminelle autocratie ;

Les griots, dans leurs épiques refrains,

Chantent ton courage et ta combativité,

Eminent héros de la liberté.

Adieu ! compagnon disparu.

Du monde de l'inconnu, vois-tu ?

Vois-tu ces enfants, ces femmes, ces vieillards,

Sur ta tombe déposés ,

Vois-tu ? Oui, vois-tu ces tristes regards

Gonflés de respect voué au temple

De ton caveau irisé ?

Vois-tu ? Vois-tu ?

Ces bataillons de patriotes

Armés de détermination,

Prêts à monter à l'assaut

Du bastion vermoulu.

De la réaction ?

Vois-tu ? Vois-tu ces bandes idiotes

D'apatrides arborer le sceau

De la reddition et de l'apostasie ?

La terre a avalé ton robuste corps,

Mais elle ne saurait engloutir l'idéal

Pour lequel tu trouvas la mort,

Idéal auquel tu restas toute ta vie féal

De nos larmes, nous arrosons ton tombeau.

La vie n'est qu'un vacillant flambeau

Devant le géant trépas. Adieu !

Compagnon disparu ! Adieu !

Cher ami à nous cruellement arraché

Dors en paix. Par tes peuples, tu seras vengé.

Ségbana, Lundi 8 février 1988

Paul Cocouvi SOSSOUKPE

(Ancien détenu politique du Bénin)

(Extrait du Recueil inédit "Voix des geôles")


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AUX AMIS DE LA GEOLE

Nuit noire ! Nuit sombre drapant vos demeures de son ombre !

Oh ! Ténèbres ! Quelles douleurs dans les coeurs meurtris !

La réaction, tel un inévitable et mortel cancer,

Vint vous arracher à vos êtres les plus chers.

Amère séparation ! Femmes, enfants, frères et amis,

Nul n'eut le temps de vous dire au revoir.

La horde des flicailles gonflée de haine,

La harde de la réaction la rage dans l'âme

Défonça portails, portes, fenêtres et plafonds de vos maisons,

Et vous emportera sous l'indignation de vos peuples

Aux yeux embués de larmes, aux coeurs endoloris,

Vos peuples vous ont vu le corps ensanglanté,

Vos peuples vous ont suivi dans votre résistance à l'ennemi.

Sous tortures et supplices vous avez durci ;

Cravaches, chicotes, rodéo, insomnies et autres menaces,

Rien n'ébranlera votre esprit, rien n'étouffera vos idées !

Vous êtes à une page de l'histoire,

Page à moitié blanche et à moitié noire,

Voilà le signe de votre inéluctable victoire !

Au bout de la pénible déportation,

Vous avez découvert un trésor en gestation :

Lutte de classes, lutte violente et implacable !

Honte aux provocateurs insensés et aveugles,

Vils individus à l'esprit corodé par la myopie politique,

Ils ont livré à l'ennemi l'oeuvre sacrée des peuples ;

Au procès de l'histoire, ils répondront de leurs actes ignobles !

Honte aux traîtres passés maîtres dans la délation,

Eux qui naviguent à contre-courant de l'histoire de notre nation

Se fracassent la tête contre le roc que sont nos peuples :

C'est le sort réservé à ces êtres misérables !

Honte à ces tortionnaires aux désirs macabres,

Par leur furie, ils se sont rendus tristement célèbres,

Demain, les peuples damneront même leur ombre !

A vous, braves et intrépides amis de la geôle,

Dignes et valeureux fils de notre sacré sol ;

A vous, indéfectibles partisans de la démocratie,

Indestructibles flambeaux de bonheur,

A vous, à vous indomptables défenseurs des peuples,

Images certaines de l'abnégation et du sacrifice suprême :

Amour et profonde considération de la patrie !

Ségbana, Jeudi 2 Janvier 1986

Paul Cocouvi SOSSOUKPE

(Ancien détenu politique du Bénin)

(Extrait du Recueil inédit "Voix des geôles"


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